BURAK IPEKCI, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, LES CLEFS D'OR INTERNATIONAL : « LA PLUPART DES CONCIERGES DE CARRIÈRE NE TROUVENT PAS LE MÉTIER, C'EST LE MÉTIER QUI LES TROUVE »
À l'ère où la technologie domine l'industrie hôtelière, le rôle des concierges d'hôtel n'a pas seulement survécu, il s'est épanoui. Burak Ipekci, secrétaire général des Clefs d'Or International, incarne parfaitement cette résilience et cette évolution. Burak apporte plus de 25 ans d'expérience à son double rôle de chef concierge du Royal Horseguards Hotel de Londres et de leader au sein de l'association. |
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BURAK IPEKCI, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, LES CLEFS D'OR INTERNATIONAL : « LA PLUPART DES CONCIERGES DE CARRIÈRE NE TROUVENT PAS LE MÉTIER, C'EST LE MÉTIER QUI LES TROUVE »
À l'ère où la technologie domine l'industrie hôtelière, le rôle des concierges d'hôtel n'a pas seulement survécu, il s'est épanoui. Burak Ipekci, secrétaire général des Clefs d'Or International, incarne parfaitement cette résilience et cette évolution. Burak apporte plus de 25 ans d'expérience à son double rôle de chef concierge du Royal Horseguards Hotel de Londres et de leader au sein de l'association. |
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Interview de Sonia Taourghi le 06-12-2024
Burak Ipekci, secrétaire général, Les Clefs d'Or International Crédit photo © Les Clefs d'Or International Au cours de notre conversation dans son hôtel londonien, où il supervise les opérations de conciergerie avec une vue impressionnante sur le lobby, Burak nous fait part de ses réflexions sur la nature évolutive de l'hôtellerie, les défis du secteur et sa mission de diversification et de renforcement de la profession de concierge. Sa passion pour le service est évidente lorsqu'il décrit la position unique qu'occupent les concierges dans les hôtels – ils sont, comme il le dit, « les seuls employés recrutés uniquement pour rendre les clients heureux ».
Alors que le secteur de l'hôtellerie est confronté à d'importants changements, qu'il s'agisse des avancées technologiques ou de l'évolution des attentes des clients, le point de vue de Burak offre des indications précieuses sur la manière dont les rôles traditionnels peuvent s'adapter tout en conservant leur élément humain essentiel. Son dévouement à la préservation des traditions des Clefs d'Or et à la promotion du progrès, notamment en matière de diversité des genres, reflète l'équilibre délicat entre l'héritage et l'innovation dans l'hôtellerie de luxe.
Journal des Palaces : Que faut-il pour être un bon concierge ?
Burak Ipekci : L'empathie est cruciale : il faut s'intéresser réellement aux gens. Ce n'est pas quelque chose qui s'apprend, c'est une qualité inhérente qui définit les bons concierges. Nous attendons plusieurs années avant d'envisager l'adhésion d'une personne aux Clefs d'Or.
Le métier peut sembler prestigieux de l'extérieur, avec des invitations dans des restaurants et à des spectacles, mais il est incroyablement exigeant. Vous devez gérer simultanément les attentes de l'hôtel, des fournisseurs externes et des clients. Contrairement à d'autres postes dans l'hôtellerie où l'on peut s'occuper de tâches spécifiques, les concierges sont embauchés simplement pour rendre les gens heureux – nous sommes le seul poste sans produit tangible. Nous sommes le produit.
Pour chaque client qui franchit la porte, vous devez conserver la même fraîcheur, le même enthousiasme et la même attention, quel que soit le nombre de personnes que vous avez aidées auparavant. Il n'y a pas de cachette, pas d'arrière-boutique où se réfugier. C'est la raison pour laquelle tout le monde n'est pas fait pour ce rôle et que nous sélectionnons soigneusement nos membres.
Comment la fonction de concierge a-t-elle évolué, notamment avec l'essor de la technologie ?
L'évolution a été spectaculaire, mais pas comme beaucoup l'avaient prédit. Au départ, lorsque l'internet est apparu, les gens ont craint que ce soit la fin des services de conciergerie. Au contraire, c'est devenu un outil qui a renforcé nos capacités. Le défi d'aujourd'hui est différent : les clients arrivent avec plus d'informations que jamais. Ils se présentent munis de listes de recommandations provenant de leurs amis et des médias sociaux, nous demandant de vérifier et d'organiser plutôt que de simplement fournir des informations.
Cela rend en fait notre travail plus exigeant, car nous devons comprendre non seulement les lieux, mais aussi les préférences et les personnalités des clients pour faire des recommandations appropriées. Les relations que nous établissons avec les fournisseurs et notre habileté à sécuriser les réservations sont devenues encore plus cruciales puisque tout le monde a accès aux mêmes informations. La technologie, y compris l'IA, peut gérer les transactions, mais elle ne peut pas apporter la touche personnelle – remarquer qu'un café situé à deux pas d'une attraction sert des brownies exceptionnels et le suggérer parce que vous sentez que le client l'apprécierait. C'est là que l'intuition humaine et l'interaction personnelle restent irremplaçables.
Parlez-nous de votre approche de la gestion d'équipe et du recrutement.
Je suis très fier d'avoir le taux de rotation le plus bas de mon entreprise. Néanmoins, j'expérimente directement les défis du recrutement.
Lors de la constitution d'une équipe, je recherche toujours la diversité des langues et des profils afin de correspondre à la diversité de notre clientèle. Il est essentiel que nos clients se reconnaissent dans notre équipe – si tout ce qu'ils voient derrière le bureau du concierge est un profil unique et peu représentatif, qu'est-ce que cela dit de l'établissement ? Nos clients viennent de tous les horizons et nos équipes doivent refléter cette même diversité. Le moyen le plus simple d'établir une relation avec les clients est de leur permettre de se reconnaître en vous. Lorsque les gens se sentent appréciés pour ce qu'ils apportent, ils sont toujours plus performants.
Comment voyez-vous l'avenir de l'hôtellerie et des attentes des clients ?
Plus la technologie progresse, plus l'interaction humaine devient cruciale. Lorsque j'ai commencé il y a 25 ans, les clients demandaient simplement : « Que dois-je faire ? ». Aujourd'hui, ils arrivent munis de recherches et de demandes spécifiques, ce qui rend notre rôle plus complexe. Nous sommes passés du statut de créateurs d'itinéraires à celui de conseillers et de curateurs de confiance.
Le défi n'est plus seulement de connaître les lieux, mais de comprendre, parmi les innombrables options, laquelle convient vraiment à chaque client. Cela nécessite un niveau plus élevé d'interaction personnelle et de compréhension. Les relations que nous établissons avec les partenaires sont devenues encore plus cruciales en raison de la concurrence accrue pour des ressources limitées – lorsqu'un restaurant dispose de 80 couverts et que 150 personnes les convoitent, il faut savoir comment rendre l'impossible possible. C'est là que réside notre valeur.
Si la technologie peut gérer des transactions et fournir des informations, elle ne peut pas reproduire la capacité humaine à lire les gens, à comprendre leurs préférences inavouées et à créer des expériences personnalisées qui surprennent et ravissent.
Pouvez-vous nous parler de la structure et de la mission des Clefs d'Or International ?
Les Clefs d'Or International fonctionne comme une organisation strictement démocratique, où les membres rendent compte à leurs présidents de section, qui eux forment notre conseil d'administration. Comme je le dis souvent, nous sommes une société avec des secrets, pas une société secrète.
En tant que membres de l'exécutif international, nous nous positionnons comme des guides, mais nous ne prenons pas de décisions unilatérales – nous exécutons les décisions collectives du conseil d'administration. Bien que nos rassemblements puissent être perçus comme de simples événements sociaux, nos évènements, régionaux et internationaux, sont essentiels pour la formation et le réseautage.
Cette année, nous avons accueilli des intervenants de Forbes et de Microsoft qui nous ont fait part de leur vision de l'IA dans l'hôtellerie. Notre mission n'est pas de grandir pour grandir ; nous privilégions la qualité à la quantité. Chaque nouveau membre doit être parrainé par des membres existants, qui engagent leur réputation sur la capacité du candidat à respecter nos normes. Actuellement, nous comptons environ 3 300 membres dans le monde, contre 4 200 avant la pandémie, mais en hausse par rapport aux 2 300 pendant la crise. Notre présence varie selon les régions – nous sommes particulièrement bien implantés en Europe et dans les Amériques, mais nous nous efforçons de renforcer notre présence en Asie du Sud-Est.
Quelles sont les initiatives sur lesquelles vous vous concentrez pour le moment au sein des Clefs d'Or ?
L'une de mes principales préoccupations est de remédier au déséquilibre entre les hommes et les femmes au sein de notre organisation. Alors que certaines sections, comme les États-Unis et le Canada, ont une représentation presque paritaire, d'autres présentent des disparités inquiétantes. Au Royaume-Uni, par exemple, les femmes ne représentent que 11 % des membres, et certaines sections n'en comptent aucune. À mon sense, c'est inconcevable en 2024.
Nous avons commencé à suivre ces données démographiques plus attentivement, en travaillant dans le respect des lois sur la protection de la vie privée pour comprendre et corriger ces déséquilibres. Je me suis récemment rendu en Inde pour échanger sur l'augmentation du nombre de femmes membres, car ce changement doit s'opérer à l'échelle mondiale. Le secteur de l'hôtellerie accueille des clients de tous horizons, et nos équipes doivent refléter cette diversité.
Nous renforçons également nos initiatives de formation et nos partenariats avec l'industrie, nous créons des vidéos sur l'art de l'hospitalité du point de vue des concierges et nous nous efforçons de valoriser la profession. L'objectif est d'inspirer la prochaine génération tout en maintenant les normes élevées qui définissent Les Clefs d'Or depuis plus de 70 ans.
Selon vous, pourquoi le concierge joue-t-il un rôle aussi essentiel dans l'hôtellerie de luxe ?
L'impact de la pandémie a été à l'opposé de ce que beaucoup craignaient. Alors que l'hôtellerie a été l'un des secteurs les plus durement touchés et que certaines entreprises ont réduit leurs équipes à la hâte malgré les dispositifs de chômage partiel, l'après-pandémie a prouvé encore davantage la valeur des concierges.
Avec l'essor des technologies pendant la pandémie, les hôtels ont réalisé qu'ils avaient besoin de moins de personnel d'accueil – ce qui nécessitait auparavant 14 agents n'en requiert plus que quatre aujourd'hui, car les clients s'enregistrent et partent via leur téléphone.
Cette évolution a en fait renforcé la position des concierges, parce que nous sommes des professionnels polyvalents qui comprennent les opérations de tous les services. Nous agissons comme un pivot central, facilitant la communication entre le monde extérieur et les opérations internes. Une fois la période de crise passée, le recrutement des concierges a connu un véritable essor.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui aspire à devenir concierge ?
Le plus important est de comprendre qu'il ne s'agit pas simplement d'un travail, mais d'un véritable mode de vie. Il faut aimer sincèrement ce que l'on fait, car c'est un métier exigeant dont les défis ne sont pas toujours apparents. Si nous sommes invités dans des restaurants et à des spectacles, il ne s'agit pas d'avantages, mais de transactions professionnelles qui nécessitent du temps en plus de nos horaires habituels à l'hôtel. Nous devons assimiler et traiter toutes ces informations pour fournir des recommandations personnalisées à nos clients.
N'oubliez pas que pour nous, chaque client est un parmi des milliers, mais que pour eux, nous sommes leur principal point de contact. Ils attendent de nous que nous nous souvenions de leurs préférences et que nous leur assurions un service d'excellence constant. La plupart des concierges de carrière ne trouvent pas le métier, c'est le métier qui les trouve. Quelqu'un perçoit cette étincelle dans leur regard, cette inclination naturelle pour le service. La clé est l'empathie et un véritable intérêt pour les autres. On peut enseigner des procédures et des protocoles à n'importe qui, mais on ne peut pas apprendre à quelqu'un à se soucier sincèrement du bonheur des autres.
C'est pourquoi nous attendons plusieurs années avant d'envisager l'adhésion d'une personne aux Clefs d'Or – nous devons nous assurer qu'il ne s'agit pas simplement d'un travail pour elle, mais d'une vocation.
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