INTERVIEW – JÉRÔME BANCTEL, CHEF DU GABRIEL, RESTAURANT TROIS ÉTOILES DE LA RÉSERVE PARIS : « JE NE LAISSE AUCUNE PART AU HASARD » (France)
Après son entrée parmi l’élite triplement étoilée de la cuisine, le chef poursuit son travail au service de la constance dans la qualité de l’expérience vécue par ses hôtes, et la fidélisation de son équipe est un des facteurs clefs de sa réussite. |
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INTERVIEW – JÉRÔME BANCTEL, CHEF DU GABRIEL, RESTAURANT TROIS ÉTOILES DE LA RÉSERVE PARIS : « JE NE LAISSE AUCUNE PART AU HASARD » (France)
Après son entrée parmi l’élite triplement étoilée de la cuisine, le chef poursuit son travail au service de la constance dans la qualité de l’expérience vécue par ses hôtes, et la fidélisation de son équipe est un des facteurs clefs de sa réussite. |
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Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le 15-05-2024
Après 20 ans passés auprès de grands chefs triplement étoilés, Jérôme Banctel vient lui aussi de rejoindre la galaxie enviée des chefs aux trois étoiles. Le résultat d’un travail de longue haleine, d’un travail acharné pour atteindre un niveau d’excellence, où aucune place n’est laissée au hasard.
Dans ce royaume de précision, le chef Banctel est accompagné au quotidien par une solide équipe qu’il a su fidéliser depuis l’ouverture de La Réserve Paris, le palace dans lequel il officie. Une équipe dont il loue les mérites, au point de partager sa veste aux trois macarons avec sa seconde, avec laquelle il collabore pour toutes ses créations, Linh Nguyen, sous-cheffe responsable création.
Au Gabriel, pour lequel il a décroché le Graal, c’est la cuisine à la chaux qui fait loi, et qui allèche les clients. Une réussite facilitée et encouragée par le propriétaire du groupe éponyme, Michel Reybier Hospitality, auquel appartient le palace. Michel Reybier, soutien infaillible du chef, lui a ainsi permis de déployer une toute nouvelle organisation, à la faveur d’une fermeture forcée durant la pandémie de Covid.
Quelques semaines après avoir ajouté une étoile aux deux déjà acquises en 2016, le chef Jérôme Banctel a accordé une interview au Journal des Palaces.Journal des Palaces : Vous venez de décrocher le Graal en obtenant trois étoiles au Guide Michelin 2024. Selon vous, quelspointscommunsréunissent les chefs qui décrochent les trois étoiles ? Partagez-vous la même vision de l’excellence ?Jérôme Banctel : C'est le Guide Michelin qui détermine ces points communs, mais je pense que le premier d’entre tous est la recherche de l'excellence. La signature culinaire aussi, le plus important pour moi.Quand avez-vous trouvé votre signature culinaire, la cuisine à la chaux ?Je l’ai trouvée à la sortie du Covid. J'ai fait 20 ans derrière des chefs, dont dix ans auprès d’Alain Senderens et dix ans avec Bernard Pacaud. Cela signifie œuvrer durant 20 ans avec l’identité de celui avec qui vous travaillez. Six mois après l’ouverture du Gabriel en 2015, le restaurant a décroché deux étoiles, avec une identité qui relève d’un mix entre Pacaud, Banctel et Senderens.
Depuis 2015, je travaillais « pleines balles », en tentant de tout changer pour trouver ma signature. Le Covid est arrivé et nous a forcés à fermer, durant presque trois années, le restaurant gastronomique, Le Gabriel. Cela a surtout été une opportunité de réfléchir et de poser ma personnalité sur la table. C’est le début du grand renouveau.Quels ont été les changements organisationnels réalisés pour passer de deux à trois étoiles au sein du restaurant ?Au restaurant, en sortie de covid, nous sommes passés de 15 à huit tables et avons décidé de fermer le samedi et le dimanche, alors que nous étions ouverts 7/7. Nous avons également disposé un tapis pour amoindrir le bruit. Nous avons surtout pris possession de la table. Dans un cadre très parisien, signé Garcia, nous avons ramené ma Bretagne natale, en posant un menhir sur la table ou à travers le choix des couleurs d’assiettes.
Sur la carte, des changements ont été appliqués, en proposant deux menus, alors que nous fonctionnions uniquement à la carte, et en créant un menu inspiré de la Bretagne et de mes voyages.Et, au sein de votre équipe ?La salle repose sur une vraie équipe de sommellerie, avec un jeune chef sommelier bourré de talent, Gaëtan Lacoste, présent pour chaque service, et un directeur de salle, Alexandre Augé, qui a compris mon message, qui sait très bien expliquer ma cuisine, mes inspirations…
Et, en cuisine, Linh travaille à mes côtés depuis 15 ans à la création. Elle et moi sommes dévoués à la création, du matin au soir, ce qui est précieux, car peu de maisons permettent de faire cela.
Enfin, depuis trois-quatre ans, l’ensemble de l’équipe est stable, en cuisine comme en salle. Une équipe qui prend plaisir à cuisiner pour l’excellence, avec un service de 16 à 24 couverts.Y a-t-il une différence lorsqu’on est chef d’un restaurant individuel pour atteindre cet objectif de la troisième étoile ?Tout dépend de la politique de la maison. C’est important d’avoir une personne à la tête de l’hôtel qui pense comme vous et qui vous donne les moyens matériels et humains. Ça nous permet de pouvoir prendre des décisions plus directes, pour mettre rapidement les choses en place.Est-ce que La Réserve Paris et sa direction sont des facilitateurs pour aller plus loin ?À titre personnel, je dirais que c’est un accélérateur, car j’ai gagné quelques années à la sortie du covid en ayant le soutien Michel Reybier.En plus de la reconnaissance et de la fierté ressentie, l’attribution de cette troisième étoile est-elle vécue comme une pression ?Je pense que c'est une libération pour les équipes et moi-même, et non une pression. Libération, car cela fait quelques années que je suis cité (NDLR : pour obtenir les trois étoiles). J'attendais ces trois étoiles, car pour moi, c'était gagner la reconnaissance de mes pairs.
Je n’ai pas encore réalisé, même si je porte la veste à trois étoiles. Nous n’allons pas changer notre fonctionnement, mais nous allons continuer d’avancer, de créer, de changer, pour que Linh et moi nous épanouissions et que nous amenions quelque chose à notre personnel.Avez-vous des recrutements prévus prochainement et sur quels critères recrutez-vous ?J’aurai des besoins de recrutement en septembre prochain en cuisson viande. Je recherche une personne assez costaude, qui a déjà de belles références dans les grandes maisons, mais pas dans un style de cuisine classique, plutôt dans un style libéré.Comment fidélisez-vous vos équipes et qu’avez-vous mis en place pour cela ?Nous faisons tout pour garder le personnel. Le fait d’avoir, à Paris, le samedi et le dimanche de repos, d’avoir deux semaines de congés en février et trois semaines en août, et d’avoir tous les jours fériés, nous permet de revenir à une normalité dans la façon de vivre.
Nous sommes à 16 couverts, nous ne faisons pas de volume, et même si la pression est présente, chacun sait ce qu’il a à faire. En moyenne, tous les six mois, je fais tourner les postes, pour que l’équipe ne s’ennuie pas et garde une certaine pression. Quand vous prenez un poste que vous connaissez peu, cela maintient cette pression.
Il y a une très bonne communication, et une super entente entre la salle et la cuisine. Deux fois par an, nous faisons un repas avec le personnel, incluant toute la salle, la cuisine et la pâtisserie.
C’est ce que j’ai tenu à initier à la sortie du covid, car avant, nous étions déjà dans un palace, mais les mentalités étaient différentes. Nous avons vraiment resserré les liens depuis. Nous sommes d’ailleurs tous allés fêter la troisième étoile en boite de nuit jusqu’à cinq heures du matin.
Chaque vendredi, je fais des quiz écrits de 2 min 30 pour toute l’équipe, avec des questions sur la maison, le groupe, sur Escoffier, sur Michelin… et ils gagnent des lots. En ce moment, je leur fais gagner les sept vestes deux étoiles signées.
Enfin, ce n’est plus du tout comme pour ma génération, aujourd’hui, on peut dire les choses sans crier.Quelles relations entretenez-vous avec les équipes en salle pour qu’elles soient imprégnées de vos créations ?Les liens entre la salle et la cuisine sont très importants. Je m’implique dans le recrutement de tous les postes clefs, car il faut aussi que cela matche avec mon identité. Nous préparons l’assiette en cuisine, mais si elle est mal expliquée, mal servie, sans intérêt pour le travail de la cuisine, l’expérience n’est pas la même. De la même façon, si Gaëtan ne sait pas conseiller le bon accord mets et vins ou qu’Alexandre accueille mal le client, on perd tout le bénéfice de l’assiette.
Pour que les équipes parlent plus facilement de nos plats, nous les faisons tous goûter. Gaëtan prépare ses accords, me les fait goûter, c’est un véritable travail d’équipe. Je communique sur WhatsApp à chaque changement de plats. Nous avons également deux briefings quotidiens, avant chaque service avec un représentant de la cuisine et de la pâtisserie.
La salle joue un rôle avant même l’arrivée des clients, pour préparer l’expérience, connaître l’occasion pour laquelle viennent les clients, leurs préférences et intolérances, etc. Au restaurant, l’équipe assure tout un cérémonial, avec une explication des menus, des produits et de leur origine. Il m’arrive d’ailleurs d’aller moi aussi en salle pour servir le maquereau ou autre.Comment se déroule le processus de création ?Linh s’attache à la création, puis nous goûtons ensemble, et nous nous mettons d’accord. Elle passe alors au poste concerné par le changement et c’est elle qui explique, montre, réexplique et remontre aux équipes.
J’ai une cuisine très technique, très carrée, où tout est pesé. J’ai eu une cuisine d’instinct pour obtenir les deux étoiles, mais pour atteindre les trois étoiles, il n’y a pas d’approximation. Pour assurer une constance, on a préalablement goûté, assaisonné avec précision, et grammé chaque plat. Je ne laisse aucune part au hasard, tout est calculé.
Aujourd'hui, ma cuisine est autour de la chaux vive pour tout ce qui est végétal. Ensuite, je travaille toutes mes sauces sans beurre et sans crème. Il faut donc trouver une solution pour donner la gourmandise en travaillant sur des huiles, sur la farine de tapioca pour lier, sur des bouillons réduits, sur des jus de légumes, sur des jus de fruits. En pesant tout, nos sauces sont tous les jours les mêmes. Même les jus de volaille sont travaillés différemment. La pâtisserie, dirigée par Jordan Talbot, travaille dans le même esprit, toujours en lien avec Linh, pour que nous ayons la même signature, de l’entrée au dessert.Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes générations ?Désormais que j’ai ma propre signature, les jeunes souhaitent apprendre cette signature. Je viens d’embaucher un Autrichien qui était en Belgique et qui voulait absolument venir travailler ici. Les jeunes veulent s’imprégner d’un style et faire ensuite autre chose pour eux.
C’est important pour moi de laisser mon empreinte dans la cuisine française. Je vais d’ailleurs réaliser cette année un livre sur la cuisine à la chaux et les sauces sans beurre.Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui rêve de décrocher, un jour, les étoiles ?Il faut travailler, beaucoup, et s’entourer des bonnes personnes. C’est ce que j’ai fait, en m’entourant de Linh à la création et de Florian (Florian Gravelle, sous-chef exécutif, NDLR) à l’opérationnel. Il faut alors articuler les rôles de chacun, donner du sens, rectifier, suggérer de nouvelles idées… et trouver des compromis.
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