Le Journal des Palaces



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INTERVIEW – SONIA LINARD, FONDATRICE, NORKI : « IL FAUT ÊTRE PRÉCURSEUR, PAS SUIVEUR » (France)

Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV), Norki cherche à dépoussiérer l’image de la tapisserie et du travail des peaux d’animaux à travers une vision artistique et décomplexée qui séduit les hôteliers.

INTERVIEW – SONIA LINARD, FONDATRICE, NORKI : « IL FAUT ÊTRE PRÉCURSEUR, PAS SUIVEUR » (France)

Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV), Norki cherche à dépoussiérer l’image de la tapisserie et du travail des peaux d’animaux à travers une vision artistique et décomplexée qui séduit les hôteliers.

Catégorie : Europe - France - Interviews et portraits - Produits et Fournisseurs - Fournisseurs - Interviews
Interview de Christopher Buet le 16-11-2023


Les jours raccourcissent et les températures plongent. L’hiver arrive et avec lui ce goût pour les ambiances chaleureuses, cette envie de se réunir autour d’une cheminée sur un tapis moelleux et réconfortant. Une scénographie parfaitement orchestrée par les hôtels de montagne, mariant le luxe attendu des établissements de ce standing à une certaine rusticité héritée des chalets d’antan pour créer des cocons au confort unique.

Dans ce décorum, Norki s’est taillé une place de choix en une petite dizaine d’années. Tout a commencé d’une volonté de sa fondatrice Sonia Linard de changer de vie. De ses racines polonaises, elle convoque l’art du travail de la fourrure et va développer un vrai goût pour cette matière vivante. Une matière qu’elle choisit de traiter avec noblesse et dans une démarche la plus vertueuse possible, veillant à sélectionner peaux et fourrures dans des élevages responsables, tout en récupérant le rebus de l’industrie agroalimentaire pour lui offrir un autre destin que la destruction et le gâchis.

Depuis l’Alsace où elle est installée, entre les Vosges et le Jura, cette ancienne musicienne laisse libre cours à sa créativité, s’inspirant de l’esthétique des années 1930 à 1970 en matière de décoration. Elle signe alors des tapis, mais aussi diverses pièces de mobilier (fauteuils, toiles, cadres). Son savoir-faire artisanal gagne en précision et convainc architectes d’intérieur et designers de la solliciter pour leurs projets.

Un travail minutieux de couture, de tapisserie et de composition, tout en couleurs et textures, qui vient d’obtenir le label EPV (entreprise du patrimoine vivant), reconnaissance du savoir-faire des métiers d’art d’exception. Une forme de validation qui conforte Norki dans sa vision. Sonia Linard et ses équipes ont ouvert les portes de leur atelier au Journal des Palaces. Une invitation chaleureuse à découvrir un art sensible, mais aussi l’esprit d’une maison familiale qui se veut audacieuse, avec l’espoir de séduire au-delà des massifs et d’embrasser tout le spectre de la décoration d’intérieur.

Journal des Palaces : Avec quels hôtels de luxe travaillez-vous ? Quelles sont leurs exigences à votre égard ?

Sonia Linard : Nous travaillons déjà avec le Cheval Blanc Courchevel. C’est un projet sur lequel nous sommes arrivés via l’architecte d’intérieur Sybille de Margerie. Toujours à Courchevel, nous sommes au Palace des Neiges qui a été fait en collaboration avec Nathalie Ryan. Nous travaillons aussi avec le Grau Roig, un boutique-hôtel en Andorre placé juste au niveau des pistes avec un style un peu rustique, très différent des palaces des Alpes, le Cœur de Megève toujours avec Sybille de Margerie, l’Hôtel de Rougemont près de Gstaad, l’Hôtel Kulm de St-Moritz, le RoyAlp à Villars-sur-Ollon.

Qu’en est-il du Meurice, seulhôtel n'étant pas à la montagne, qui fait figure d’exception dans votre liste de clients ?

C’est un projet que nous avons mené avec Philippe Starck. Il rénovait la salle de restaurant principale et il avait choisi de travailler sur la peau de vache. Il a fait appel à nous et nous avons œuvré sur les canapés avec cette matière.

 

Vous avez une image associée aux établissements de montagne, aux chalets. En acceptant le challenge du Meurice, nourrissez-vous une envie de toucher d’autres types d’établissements ?

Nous nous sommes beaucoup concentrés sur la montagne et cela nous a permis de participer à des très beaux projets, mais nous aimerions que les hôtels comprennent que nous pouvons travailler notre matière dans tous les environnements. Nous aimerions travailler avec d’autres palaces, à la mer, par exemple. Quand on creuse le sujet, on s’aperçoit que les nomades du désert utilisent beaucoup les peaux d’animaux, s’habillent avec, s’en servent pour dormir. Mais dans nos imaginaires d’occidentaux, c’est associé à la montagne.

Comment faire changer votre image ?

Nous y travaillons mais ce n’est pas facile. Nous devons faire preuve de pédagogie, prendre des exemples comme les bédouins qui pourraient convaincre des hôtels de luxe, par exemple, au Maroc ou en Tunisie d’effectuer ce travail sur les peaux. Il faut que l’idée mûrisse dans les esprits des architectes d’intérieur qui sont souvent européens ou américains, pour qui cela ne semble pas naturel. Il y a une méconnaissance du produit. On croit que c’est chaud alors qu’il régule la chaleur.

Quel est le plus beau projet qu’un hôtel ait pu vous donner ?

Le plus beau projet que nous ayons eu, en hôtellerie, c’est le Grau Roig car nous y avons eu une totale liberté artistique. La cliente nous avait dit vouloir de la peau, en faire sa signature, mais nous a ensuite fait confiance pour lui dire ce qu’il y avait de mieux à faire dans son hôtel. Nous avons dû retravailler les couloirs, les chambres, les têtes de lit, les coussins, les tables et les sièges du restaurant. Nous avons aussi refait des portes de placard. Nous avons pu apporter notre idée, notre patte artistique. C’était un projet énorme avec une trentaine de chambres à rénover. C’est une tout autre démarche que d’avoir une prescription où tout est déjà choisi et vous avez juste à appliquer la vision d’un autre.

Quelle est votre définition du luxe ?

Le luxe, c’est la simplicité. Le produit doit être compréhensible facilement. Il ne faut pas croire que les gens du luxe sont compliqués. Nous devons avoir une approche simple et ludique de notre clientèle et de notre matière, en gardant les pieds sur terre.

Enfin, dans le luxe, on se doit d’être expérimental, d’essayer d’orienter les tendances. Le fait d’expérimenter permet d’aller plus loin. Il faut être précurseur, pas suiveur. Voilà ce qu’on attend d’une maison de luxe.

Vous accordez un soin particulier aux peaux et fourrures que vous utilisez. Comment les choisissez-vous et les traitez-vous ? Dans quelle mesure leur provenance et l’aspect éthique ont-ils un impact dans votre réflexion ?

Nos peaux sont issues de l’industrie agroalimentaire. Celle-ci ne les intéressent et sans nous, elles seraient soit brûlées, soit jetées. Nous les récupérons pour en faire quelque chose de beau et d’élégant. Nous redonnons vie à des sous-produits de l’agroalimentaire. Il n’y a pas meilleure manière de les magnifier et les respecter qu’en les transformant en des produits de luxe durables.

Nous avons un deuxième pôle avec les fourrures. Là, ce sont des animaux utilisés seulement pour leur fourrure et nous faisons très attention à qui sont nos fournisseurs. C’est pour ça que nous n’avons jamais acheté de fourrures en Chine et que toutes nos fourrures sont issues des bassins géographiques d’origine et viennent d’Europe.

Quelles garanties offrez-vous pour vos produits ?

Nous nous engageons à réparer toutes pièces endommagées dans nos ateliers. Cela entre dans le respect des produits que nous travaillons. Votre plaid peut durer 10 ans sans trou et quand ça arrivera, nous serons là pour le réparer et il repartira pour de nouveau 10 ans.

Vous aimez marier les textures et les matières dans vos créations. Pourquoi ?

Mélanger les matières est notre signature. C’est un savoir-faire que d’autres maisons n’ont pas. Sur nos tapis, nous essayons de mettre en avant différentes matières, différentes hauteurs pour ne pas avoir un tapis uniforme et créer un design original. Nous allons avoir, par exemple, de la peau de vache qui est très ras, avec du mouton à trois centimètres de hauteur, ce qui va créer un vrai contraste.

Comment avez-vous développé techniquement ces mariages ?

Cela a été un travail de recherche de longue haleine. Nous avons développé toutes les techniques d’assemblage, de couture, mais aussi une doublure particulière. Nous ne faisons que du sur-mesure, et donc, tous les jours, nous sommes presque obligés d’inventer de nouvelles techniques. Nous avons cinq personnes qui travaillent dans notre atelier.

Où puisez-vous votre inspiration ?

J’ai toujours été férue d’art. Toute petite, dès l’âge de deux ans, mes parents m’emmenaient en salle des ventes des musées. Avec mon mari, nous adorons le mobilier suédois des années 1940 à 1960. Nous avons collectionné des premières pièces, des premières éditions d’Ikea. J’aime le courant du brutalisme, du maximalisme. C’est franc, net et ça me parle beaucoup. L’inspiration vient de là et de la couleur. Pour moi, le beige n’est pas une couleur. J’aime qu’on mixe les styles, qu’il y ait des parti pris forts en termes de décoration. Je n’aime pas que tout soit lisse.

Je m’inspire aussi de la nature. J’aime dans ma direction artistique qu’on retrouve cet imaginaire autour des végétaux, des sensations, des odeurs. Je pense à notre tapis Betula qui veut dire bouleau. C’est la vue de l’arbre au microscope, mais si on ne le sait, impossible de deviner que ça vient d’un motif naturel.

Que vous apportent les collaborations avec des architectes et designers ? Comment nourrissent-elles votre travail et votre approche ?

Ils apportent leur vision comme sur la dernière collection que nous avons créée avec Victoria Maria Geyer. Elle est très pop, très années 1970 et elle nous a emmenés dans son univers ce qui nous a conduits à revoir nos techniques d’assemblage. Nous avons notamment fait un tapis en peau de vache, très coloré qui dessine un circuit partant du centre dans tous les sens. Il a demandé énormément de découpes, de coutures. C’était un nouveau travail pour l’atelier. Nous, nous connaissons les contraintes techniques tandis que les designers ne les connaissent pas, ce qui leur permet d’être libre dans leurs idées. C’est donc à nous de nous adapter pour coller au mieux à leur vision.

En quoi est-ce intéressant de naviguer dans ces différents imaginaires ?

C’est très porteur. À la galerie, nous sommes même allés au-delà. Nous avons travaillé avec des artistes et nous n’étions plus dans l’objet produit, mais dans l’œuvre.

Cela peut aussi séduire des hôtels en quête de singularité…

Revenons-en aux palaces de montagne. Leur saison est très réduite donc ils sont obligés de se différencier dans leur offre et dans leur design comme a pu le faire Pierre Yovanovitch au Coucou à Méribel avec une approche très contemporaine ce qui a ouvert à une clientèle férue d’arts contemporains.

Quels sont vos prochains projets de développement ?

Nous sommes une jeune maison qui a 12 ans. Je pense que nous sommes reconnus par les architectes d’intérieur. Maintenant l’enjeu est de développer le BtoC et le fait de faire connaître nos produits à travers l’ouverture de showrooms, par exemple. Dans l’hôtellerie, nous aimerions beaucoup travailler avec Les Airelles qui est un palace incroyable, les palaces autrichiens à Kitzbühel où il y a tout cet imaginaire romantique et qui ont une autre approche de la station de montagne et de l’hôtellerie.

À propos de l'auteur

Journaliste aux multiples atouts et voyageur curieux, Christopher a une grande appétence pour les établissements au raffinement soigné, où s’accordent gastronomie de caractère, service impeccable et élégance sincère. Une plume discrète et gourmande au service d’une certaine idée du luxe.

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