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INTERVIEW - ÉLISE MASUREL DE LAVAL, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L'ÉCOLE DUCASSE : « NOUS FORMONS DES CHEFS MANAGERS, ENTREPRENEURS ET CITOYENS » (France)

La directrice de la prestigieuse école de cuisine française entrevoit un avenir radieux pour la profession, conjuguant passion et engagement de nouvelles générations de chefs

INTERVIEW - ÉLISE MASUREL DE LAVAL, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L'ÉCOLE DUCASSE : « NOUS FORMONS DES CHEFS MANAGERS, ENTREPRENEURS ET CITOYENS » (France)

La directrice de la prestigieuse école de cuisine française entrevoit un avenir radieux pour la profession, conjuguant passion et engagement de nouvelles générations de chefs

Catégorie : Europe - France - Carrières - Interviews et portraits - Carrière - Interviews
Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le 06-09-2023


Élise Masurel de Laval tient les rênes de l’École Ducasse depuis 2019. Une mission dans laquelle elle met à profit ses années d’expérience dans l’agroalimentaire et l’hôtellerie pour dynamiser l’école et donner un nouveau souffle à l’attractivité des métiers de la restauration.

Son parcours au sein du Club Med lui confère une agilité et une conception mêlant exigence et modernité, au service des profils d’étudiants très variés qu’elle accueille sur trois campus de l’École Ducasse. Pour celle qui a contribué, en tant que directrice marketing et commerciale, à la fois à la montée en gamme et à l’internationalisation du Club Med, le cap est fixé pour l’École Ducasse : renforcer l’internationalisation et poursuivre une démarche d’innovation incessante dans l’offre de formations de l’École.

Pour le Journal des Palaces, Élise Masurel de Laval a accepté de décrire ce qui rend unique l’École Ducasse, et d’évoquer ses projets, en France et à l’international.

Pourriez-vous décrire l’évolution de l’École Ducasse ?

Alain Ducasse poursuit lui-même une quête perpétuelle d’innovation. Nous nous réinventons en permanence, pour être à l'avant-garde des tendances, et incarner cette vision.

La première école a été fondée à Argenteuil en 1999 par Alain Ducasse, avant l’ouverture du nouveau campus de Meudon en novembre 2020 pour absorber une croissance rapide. En 2007, Alain Ducasse et Yves Thuriès ont racheté l'École nationale supérieure de pâtisserie (ENSP), créée en 1984 par la Confédération des pâtissiers dans le château de Montbarnier, à Yssingeaux (Haute-Loire). Ici, l’expertise est extrêmement forte, avec des formations en pâtisserie, boulangerie, chocolaterie, glacier, ou encore gâteaux de voyage, etc. Une troisième école est dédiée aux amateurs, dans le XVIᵉ arrondissement de Paris. Elle accueille près de 10.000 clients par an, individuels et entreprises.

Enfin, nous accélérons, depuis quelques années, le développement à l'international de nouvelles écoles, avec une école à New Delhi ouverte en 2021, avec l'Indian School of Hospitality et un nouveau studio à Bangkok ouvert en juin dernier. Enfin, nous avons un partenariat historique aux Philippines qui fonctionne très bien.

Quels sont les fondamentaux, l’ADN de l’école ?

Nous formons des chefs complets, excellents techniquement, mais aussi des chefs managers, entrepreneurs et citoyens. Notre mission est de transformer nos élèves en excellents managers qui allient bienveillance et exigence, en très bons entrepreneurs.

L'expérience client démarre sur le site web, à l'entrée dans le restaurant, se poursuit durant le service, dans l'assiette évidemment, et jusqu'à l’adhésion à un programme de fidélité. L’École Ducasse apporte cette vision holistique du parcours client, et apprend à être constamment à l'écoute des clients et à l'avant-garde des tendances.

Comment assurez-vous une continuité dans les standards d’exigence de l’École Ducasse dans le cadre des partenariats ?

Nous avons une stratégie de développement à l'international sélective. D'abord, dans les destinations que nous choisissons. L’importance de la gastronomie sur place, l'histoire de la gastronomie de ces pays, la volonté des gouvernements de développer un tourisme responsable et un tourisme culinaire et gastronomique sont des critères importants. Ce sont souvent des pays qui ont envie de former, mais également des pays dans lesquels Alain Ducasse est souvent déjà présent. C’est d’ailleurs fréquemment parce que les deux premiers critères sont remplis qu'Alain Ducasse y est déjà présent.

Le choix de partenaires, qui partagent notre vision et offrent la qualité que nous souhaitons délivrer, est alors crucial pour s’assurer que les standards soient bien remplis. Le partenariat doit être de long terme, de 10 à 20 ans minimum. Ce peut être des écoles, des hôtels ou groupes d’hôtels aussi, avec cette même vision du haut de gamme et de la gastronomie, et qui ont la même exigence en termes de qualité que nous.

Quelle est la part de l’éco-responsabilité dans votre philosophie ?

La très grande vision d'Alain Ducasse sur le sujet est de faire en sorte que les chefs se sentent autant responsables de l'environnement que de la santé des clients qu'ils vont accueillir demain.

C’est une cuisine qui se doit d'être respectueuse de la terre, des producteurs, une cuisine sans aucun gaspillage. Alain Ducasse a très tôt travaillé sur cette dimension-là, avec l'utilisation complète du produit, et une cuisine moins protéinée. La naturalité est un des sujets majeurs que nous enseignons à nos étudiants. Nous avons par ailleurs un potager à l'entrée de notre école, grâce auquel nous inculquons la permaculture à nos étudiants, de l'entretien du potager à l’utilisation des produits en cuisine ou en pâtisserie.

Pour nous, c'est aussi une mission, autant sur le management que l'entrepreneuriat, de sensibiliser et de former à être extrêmement protecteurs de l'environnement et de la santé.

L’école est une « référence en matière d’excellence pédagogique », comment définissez-vous l’excellence ?

L’excellence prend plusieurs formes. C'est d'abord une excellence technique évidemment, car nous allons enseigner à nos étudiants les fondamentaux de la gastronomie française, qui a été codifiée très tôt par Escoffier, etc. La gastronomie française est une formidable boîte à outils pour toutes les cuisines du monde. Nous leur inculquons cette boîte à outils ainsi que toutes les techniques culinaires d'Alain Ducasse.

Nous adoptons une approche pédagogique sous forme de petites classes, de 14 à 18 étudiants au maximum, un vrai parti-pris pour que nos étudiants travaillent leur technique de manière très poussée, avec un poste par étudiant, pour un travail individuel intense et la répétition du geste.

L'excellence est aussi dans toutes les soft skills que nous allons enseigner à nos étudiants, comme la rigueur ou la créativité. Le savoir-être est aussi important que le savoir.

Comment sélectionnez-vous les professionnels qui interviennent devant les étudiants ? Quelles sont les modalités de ces interventions ?

Nos chefs formateurs sont issus de restaurants gastronomiques, souvent étoilés, et notamment des restaurants d'Alain Ducasse, pour pousser très loin cette technicité.

Nous avons développé des cours complémentaires, techniques et académiques, avec un travail sur les soft skills. Nos chefs formateurs sont exemplaires, ils doivent incarner ces valeurs d’excellence, et associer exigence et bienveillance. Les dimensions managériale, pragmatique, entrepreneuriale doivent être infusées par eux.

Les cours académiques sont dispensés par des professeurs souvent issus d'écoles de commerce, avec une vision entrepreneuriale. Dans le Bachelor qui dure 3 ans, 100 heures de cours sont ainsi dédiées au management, car c’est un sujet critique pour leur apprendre à retenir leurs équipes demain.

Nous accueillons bien sûr des intervenants, chefs invités ou experts, sur des thématiques très précises, comme la fermentation, la permaculture, etc.

Enfin, nous accueillons près de 90 nationalités sur nos campus et les brigades sont désormais totalement internationales, nos formateurs parlent donc tous anglais.

Quels sont les profils de vos étudiants et leurs attentes vis-à-vis des professeurs et intervenants de l’École Ducasse ?

L'attente commune à tous les profils, c'est ce sens, cette passion qui est apportée par les métiers. Ils partagent également une attente liée à la dimension écoresponsable, ce qui complète cette notion de recherche de sens.

Les attentes varient ensuite selon le type de formation. Nous accueillons trois profils différents : les bachelor, les formations continues et les reconversions.

Comment sont accompagnés les étudiants en bachelor ?

Les bachelor ont besoin d'un accompagnement plus maternant. Ils arrivent après le bac, et intègrent donc l’école de 18 à 20 ans. C’est un public très international, avec 90 nationalités représentées sur nos deux campus de Paris et d’Yssingeaux. Ils passent trois années avec nous, dont trois semestres sur nos campus et trois semestres de stages. Ils vont suivre 60% de cours d'art pratique et 40% de cours académiques.

À seulement 18 ans, ils viennent parfois du bout du monde, donc ont vraiment besoin que l’on facilite leur arrivée sur le territoire français, d’un accompagnement sur leur logement, leur visa, etc. Nous travaillons avec une conciergerie et nous avons une équipe « vie étudiante » dédiée à cet accompagnement, sur l’ensemble des étapes du parcours étudiant.

Et pour les étudiants en reconversion ?

Dans le cadre des reconversions, nous adoptons une relation de coaching et une formation technique intensive. Nous focalisons sur l’apprentissage de la création d’un restaurant, de la gestion d’un P&L (compte de résultats), de la communication, ou encore sur l’hygiène et la sécurité, tout ce qui va leur permettre de monter leur établissement à l’issue de la formation.

Ces formations de deux mois sont dédiées à « l’essentiel des arts culinaires » ou « l’essentiel de la pâtisserie française ». D’autres, plus longues, sont diplômantes, comme le diplôme de cuisine, qui nécessite six mois de formation et trois mois de stage, ou le diplôme de pâtisserie, avec quatre mois de formation pour deux mois de stage.

Nous travaillons sur un livre blanc dédié aux reconversions, car c’est un phénomène exceptionnel. Certains profils ont 10 à 20 années d’expérience dans d’autres secteurs, et ce métissage avec les plus jeunes créent une vraie émulation dans les brigades.

Nous proposons également des CAP raccourcis sur huit mois.

Combien d’étudiants accueillez-vous et quelle est leur employabilité à l’issue de la formation ?

Pour cette rentrée, nous accueillons 1.000 étudiants sur les formations dites longues, donc reconversion et bachelor (de deux mois à trois ans). Nous accueillons également 1.600 professionnels en formation continue, sur deux jours, répartis sur les deux écoles de Meudon et d’Yssingeaux. Les étudiants qui sortent de notre école obtiennent de trois à quatre offres d’emploi.

Comment vous assurez-vous de rester toujours à l’avant-garde en matière d’offre de formations ?

Nous cherchons à incarner cette vision toujours très avant-gardiste d'Alain Ducasse. Nous modelons régulièrement nos programmes pour répondre à ces attentes-là.

Par exemple, pour les programmes de reconversion, nous avons lancé un « essentiel des arts culinaires » du soir et renforcé le volet « cuisine végétale », en passant de deux à neuf mois de formation, et l’avons déplacé dans notre école de Paris, pour que ce soit plus accessible pour les franciliens. Cela permet aux étudiants de continuer à travailler tout en avançant leur programme de reconversion. C’est dans ce même esprit d’appréhender les sujets en plein essor que nous avons lancé un CAP Glacier.

En plus des stages, comment assurez-vous d’offrir une vision réaliste du métier aux étudiants ?

Dans cette volonté de donner une vision holistique du parcours client à nos étudiants, ils se forment aussi dans nos restaurants. Au sein du campus de Meudon, ils sont en immersion dans notre restaurant ouvert au public quotidiennement. Cela leur permet de comprendre ce qu'est un vrai service, la réalité du métier.
Ils sont à la fois en cuisine et en salle, pour apprendre aussi toute la dimension sommellerie et mixologie.

Les formez-vous également sur les boissons ?

Nous formons des chefs, mais leur inculquons le sens du détail, d’où ces immersions en salle. Nous avons par ailleurs introduit des cours d’accords mets et vins, un atelier sur les thés, un autre sur le café aussi, et une masterclass sur le saké. Notre ambition est de leur ouvrir l'esprit sur tout cet écosystème, avec lequel ils vont travailler, pour fournir une expérience la plus exceptionnelle possible à leurs clients.

L’art de la table entre dans ce cadre ?

Tout à fait, Chantal Wittmann, Meilleur Ouvrier de France, maître d’hôtel, du service et des arts de la table, inculque toute cette dimension-là aux étudiants.

Quelles sont les attentes des professionnels envers vos étudiants dans le cadre des stages ? Et lors des recrutements pour une première expérience ?

Les professionnels ne recherchent pas immédiatement une technicité absolue, mais recherchent l'amour du métier, la curiosité. Ils retrouvent cette soif d’apprendre, à la fois dans les profils des jeunes, mais aussi dans les profils des personnes en reconversions.

En cuisine, les chefs recherchent toujours des profils assez proactifs et créatifs. De plus en plus de chefs souhaitent également s’entourer d’étudiants intéressés par les thématiques environnementales et responsables, de jeunes qui les challengent.

Quels changements ou nouveautés seront mis en œuvre pour cette rentrée 2023 ?

Cette année, Alexandre Gauthier, chef du restaurant La Grenouillère (Pas-de-Calais, deux étoiles au Guide Michelin) est parrain de la promotion du Bachelor des Arts Culinaires, un chef parfaitement aligné sur nos valeurs. Jonathan Mougel, Meilleur Ouvrier de France pâtissier-confiseur 2019, est, lui, parrain de la promotion des bachelors en pâtisserie. Enfin, nous accueillons Jacques Maximin en tant que chef en résidence. Il accompagnera nos étudiants tout au long de l’année. Il va non seulement proposer des masterclass techniques, mais les étudiants auront aussi régulièrement des déjeuners avec lui, pour qu'il leur raconte son parcours et des anecdotes, qu’il leur donne des conseils, qu’il raconte aussi l'histoire de la gastronomie française.

En matière de programmes, nous nous renouvelons chaque année, avec près de 40 thématiques nouvelles par an en remplacement de 40 autres.

Pour ce second semestre, en cuisine, nous incluons des cours sur la fermentation, qui s'inscrit dans une logique écoresponsable et de santé. Un volet « nutrition en santé » voit également le jour. Dans les établissements de soins, c'est un sujet très important. Nous introduisons aussi une « trilogie contemporaine », autour des poissons, légumes et céréales.
En pâtisserie, de nouvelles thématiques, autour de cette notion de la « desseralité », arrivent, avec des pâtisseries sans gluten ni additifs, des pâtisseries plus légères, avec moins de sucre. Nous développons un volet sur le chocolat, le « bean to bar » (de la fève à la barre), pour comprendre toute la chaîne, de la plantation à la création de son propre chocolat.

Nous avons par ailleurs lancé un diplôme, le « French and Italian pastry arts diploma » avec Alma, la très grande école de cuisine italienne, proche de Parme. Dans cette logique de multiculturalité, nous avons également lancé un partenariat avec l’école Auguste Escoffier School of Culinary Arts aux États-Unis (voir notre article du 21 juin 2023).

Quels sont les projets de l’École Ducasse, en France et à l’international ?

À très court terme, nous ouvrons l'extension de l’ENSP, un très beau projet pour nous. Nous avons deux laboratoires supplémentaires, des salles de cours, ainsi que des logements étudiants. Cela va nous permettre de répondre à toute la demande internationale qu’attire cette école unique de pâtisserie, et de devenir la plus grande école de pâtisserie au monde.

Nous poursuivons nos projets de développement à l’international. L'Asie reste évidemment une région à fort potentiel, et nous sommes convaincus par le Moyen-Orient par ailleurs. L’Amérique du Nord nous intéresse également.

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À propos de l'auteur

Journaliste experte de l’hôtellerie de luxe et inspirée par les femmes et les hommes qui l'incarnent, Vanessa aspire à valoriser et sublimer la beauté et l’élégance des palaces à travers ses écrits. “Dans un palace, la simplicité sert la quête de l’excellence” admire-t-elle.

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