INTERVIEW - JEAN-FRANÇOIS COLLOUD, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES ULTIMA COLLECTION : « LE MONDE DES SAISONNIERS RISQUE DE S'ESSOUFFLER »
Directeur des Ressources Humaines d’Ultima Collection, Jean-François Colloud pose un regard franc et aiguisé sur un secteur qui le passionne depuis 35 ans, où les défis sont nombreux et stimulants. |
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INTERVIEW - JEAN-FRANÇOIS COLLOUD, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES ULTIMA COLLECTION : « LE MONDE DES SAISONNIERS RISQUE DE S'ESSOUFFLER »
Directeur des Ressources Humaines d’Ultima Collection, Jean-François Colloud pose un regard franc et aiguisé sur un secteur qui le passionne depuis 35 ans, où les défis sont nombreux et stimulants. |
Catégorie : Europe - Carrières
- Interviews et portraits
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Interview de Christopher Buet le 22-03-2023
Dans le paysage du luxe hospitalier, Ultima a bousculé les codes traditionnels. Depuis 2016, Ultima Collection s’est imposée à mi-chemin entre l’hôtel de luxe pour ses prestations soignées et l’hébergement privatif haut de gamme pour le côté intimiste et confidentiel. Une proposition unique faisant le bonheur d’une clientèle restreinte désireuse de vivre une expérience différente et personnalisée.
La marque prend alors de l’importance et tend à se développer. C’est dans ce cadre que Jean-François Collouda rejoint l'aventure en 2019. Un professionnel passionné, ayant commencé depuis la base avant de gravir les échelons. Ce baroudeur du secteur est séduit par le concept et le défi qu’on lui propose. Si les bases du projet ont été bien posées, tout reste encore à construire autour. Il se voit ainsi confier la définition et la mise en place de la politique RH d’Ultima avec l’ambition de transformer la jeune entreprise, de lui donner de la visibilité et une désirabilité auprès des potentiels collaborateurs. Un challenge hors-normequ’il embrasse avec méthode.
Riche de ses différentes expériences, il structure le groupe et participe à son expansion. Le boutique-hôtel au pied des montagnes à Gstaad est rapidement rejoint par des résidences à Megève, Crans Montana ou Corfou, puis Courchevel. Si la marque s’est installée, Jean-François Colloud souhaite explorer son avenir RH. Après trois ans, il a entrepris de donner un visage à Ultima et a réaxé la politique RH sur l’humain et les collaborateurs.
Pour le Journal des Palaces, l’homme de 58 ans revient sur les origines de ce virage et comment il s’ancre dans le projet de développement d’un groupe singulier positionné entre montagne et mer, Alpes et Méditerranée, ainsi que sur la problématique du travail saisonnier.
Journal des Palaces : Quel est votre parcours ? Jean-François Colloud : Je suis issu de l’école hôtelière de Thonon-les-Bains où j’ai eu un brevet de technicien hôtelier. J’ai commencé en cuisine et au service, puis j’ai orienté mon parcours sur la partie hébergement et la réception (jour et nuit). Je suis arrivé aux Ressources Humaines (RH) en autodidacte. J’ai appris le métier par la force du temps et mes propres moyens en prenant des cours en parallèle. J’ai travaillé dans beaucoup d’entreprises, indépendantes ou des chaînes internationales, dont le groupe suisse Mövenpick pendant sept ans, ou IHG - Intercontinental durant cinq ans. J’ai fait des ouvertures d’établissements en tant que task force : deux en Tunisie, à l'île Maurice et en Palestine. Dans chacune de ces missions, mon rôle était d’implanter toute la structure et les process RH avant de passer la main à un DRH local.
Je me suis constamment remis en question, toujours interrogé sur ce qu’on pouvait améliorer en RH. Puis, en 2019, j’ai rejoint Ultima Collection, attiré par l’originalité du produit. Après 35 ans, ma carrière n’a jamais dévié de l’hôtellerie.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées en tant qu’autodidacte des RH ? Les RH sont assez complexes. Il m’a fallu, au début, appréhender les comportements, la psychologie, les us et coutumes selon les cultures, et le marché du travail. J’ai dû sortir de la finance où tout est « sous contrôle » pour quelque chose de plus large, demandant beaucoup plus d’ouverture d’esprit, de réflexion et d’analyse.
Ce qui m’a aidé et m’aide toujours, c’est que je maîtrise mon sujet. Je connais les métiers pour lesquels je recrute, car je les ai occupés à un moment dans ma carrière et cela me permet de cibler encore mieux le profil recherché. Même si les codes ont changé et que les métiers ont évolué, il reste une base et, par exemple, un serveur ne pourra pas m’apprendre comment servir.
S’il y a une situation conflictuelle ou une personne en état d’épuisement, je peux aussi mieux le comprendre et l’aider qu’un RH venant de l’industrie, par exemple, car je viens du terrain. C’est un gros avantage.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans l’hôtellerie de luxe ? Tout d’abord, par attrait personnel. J’aime les belles choses que ce soit pour la décoration, la mode… Le luxe, ce n’est pas que du Baccarat, du nubuck ou des produits nobles, mais il impose un code, une rigueur appréciable, aussi en matière de savoir-être. Ces codes du luxe sont très intéressants et enrichissants. Il est important de s’y attacher et de les entretenir, car il y a une identité derrière, correspondant à mes valeurs et ma façon d’être. Je me verrais mal travailler ailleurs que dans l’hôtellerie de haut standing où je me retrouve plus que dans l’hôtellerie plus traditionnelle et standard.
Avec Ultima Collection, vous avez quitté l’hôtellerie de luxe « classique ». En quoi vos établissements sont-ils différents ? Ultima est une hôtellerie « alternative » entre le luxe que nous pouvons rencontrer dans des palaces et une exclusivité « home away from home ». Chez Ultima, nous sommes sur un marché de niche d’ultra-high-net-worth individuals (UHNWI). Ces clients fréquentent les plus beaux hôtels, parfois les meilleures suites et recherchent quelque chose de différent comme une seconde demeure.
Chez Ultima, il y a ce côté très atypique où nous ne louons pas une suite, mais un chalet/une villa où nous sommes chez nous. À l’hôtel, même si la chambre fait 200 m², quand nous sommes dans le lobby, c’est la sphère publique. Ultima propose une hôtellerie plus moderne avec des métiers particuliers. Nous ne parlons pas de chef de cuisine, mais de chef privé, pas de chef de rang, mais de butler ou de majordome. Nous sommes dans le service au client, dans le sur-mesure et le cousu-main dès la réservation du client, pendant son séjour et après.
Au-delà de cela, j’ai rejoint Ultima, car j’adore les challenges. Quand j’y suis arrivé, c’était le début de l’histoire du groupe. Il n’y avait qu’un établissement. L’idée était d’écrire le positionnement et la philosophie du groupe où il n’y avait pas de structure et d’organisation RH. J’étais fier de ce challenge.
Quelle politique RH et de recrutement avez-vous donc mis en place ? Il y a eu deux étapes. Quand je suis arrivé, j’ai dû comprendre les ambitions et projets du groupe. J’ai donc dû mettre en place une stratégie dynamique et accrocheuse pour se faire connaître, car Ultima était novatrice et peu connue sur le marché. Il a aussi fallu écrire des valeurs, déterminer ce qu’on attendait des candidats. J’ai eu 15 jours pour le faire, car nous devions les présenter à de potentiels investisseurs. Il en est ressorti que chez Ultima, on doit être : passionné, authentique, respectueux et sustainable. Aujourd’hui, en 2023, nous réécrivons de nouvelles valeurs et une nouvelle philosophie, car le groupe est devenu plus grand, plus international.
Quelles nouvelles valeurs revendiquez-vous ? À l’époque, nous mettions en avant nos produits et nos destinations en priorité. J’ai voulu remettre l’humain au cœur de notre concept, car il fait la différence. Nous avons fait une campagne vidéo et nous essayons de mettre de l’humain là où on avait du marketing autour des propriétés. Nous voulons mettre des visages en avant, montrer qui est butler, spa therapist ou dame de chalet chez Ultima, tout en gardant la dimension « to be passionnate », « to be different » qui n’a pas changé. Nos clients aiment nos propriétés, mais on s’aperçoit qu’ils aiment de plus en plus nos collaborateurs.
Comment avez-vous fait évoluer votre politique de recrutement ? Entre l’avant, le pendant et l’après Covid-19, le changement d’état d’esprit du monde de l’hôtellerie, tout s’est compliqué. Il y a quelques années, si le CV d’un collaborateur n’avait pas toutes les plus belles marques et ne cochait pas toutes les cases, il était quasiment mis sur le côté d’office. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il est important d’avoir des personnes ayant travaillé chez Cheval Blanc ou Four Seasons, par exemple, car on sait qu’il y a des valeurs et une formation. Cependant, le plus important pour nous est d’aller chercher des profils plus atypiques qui n’auront pas travaillé dans des cinq étoiles.
On va s’intéresser plus aux soft skills qui représentent pour moi 70 à 80 % du succès, qu’aux hard skills ou technical skills acquises à l’école ou par l’expérience. Nous avons décidé cette approche sur de l’humain, des comportements, du savoir-être et du savoir-vivre et nous apporterons aux collaborateurs notre expérience par des formations. Nous avons signé un contrat avec AssessFirst et repensé notre mode de recrutement depuis le 1er mars en privilégiant la personnalité de notre vivier de candidats plutôt que de l’expérience.
Qu’avez-vous mis d’autre en place ? Notre business model est très saisonnier, avec 80 % de nos emplois. Étant à Courchevel, nous allions par réflexe ensuite à Saint-Tropez, mais depuis deux ans, les profils ne nous conviennent pas. Nous avons décidé d’ouvrir nos perspectives et nous sommes donc partis à Mykonos pour trois jours de recrutement. Nous sommes revenus avec 80 CV. Cette année, j’ambitionne de faire la même chose à Ibiza avec, pourquoi pas, un partenariat avec un hôtelier local pour échanger. C’est une nouvelle mode.
Il faut être dans l’échange et le partage. Nous repensons le recrutement en étant plus présents, plus ouverts d’esprit, en essayant d’avoir des partenariats. Nous avons été approchés par un hôtel à Saint-Tropez qui n’a pas d’établissement en montagne et le groupe Myconian, qui compte six établissements de renom en Grèce et veut que ses équipes travaillent chez nous en hiver. Il y a un win-win à la fin qui rend le recrutement différent d’il y a quelques années.
Nous sommes aussi beaucoup plus présents auprès des étudiants et des écoles. Nous avons été à Savignac, à Ferrières et nous essayons d’être dans une approche de marketing RH pour aller chercher les candidats à la source, leur montrer ce qu’Ultima peut leur apporter et attend d’eux. Il ne faut plus attendre que les CV nous arrivent, mais aller là où le marché est.
Envisagez-vous aussi de modifier la diffusion de vos offres d’emploi, d’aller vers les réseaux sociaux ? Les réseaux sociaux sont clés pour prospecter. Quand nous sommes allés à Mykonos, nous avons su toucher la communauté locale en répandant l’information de notre action par un flyer, Facebook, Instagram, Twitter. Cela a fait tache d’huile et nous avons eu du monde pendant deux journées riches en rencontres et intenses, assorties de visites de propriétés potentiellement partenaires.
Une fois le recrutement fait, comment intégrez-vous vos nouveaux collaborateurs ? Par principe, un saisonnier arrive et on le jette dans le bain, il fait la saison et repart. Il y a donc peu de temps pour l’intégrer et capter son attention. En créant la politique RH, j’ai voulu un outil d’intégration le plus efficace possible permettant de faire de l’onborading afin qu’il puisse avoir toute l’information et les formations avant l’embauche. Nous avons donc créé une plateforme assortie d’une technologie Connect Solution, qui se veut un réseau social interne avec une application smartphone. Nous y donnons accès dès la signature du contrat, deux à quatre semaines avant l’arrivée.
Cette plateforme a des modules. Le premier permet de découvrir qui nous sommes, le second leur enseigne où ils vont travailler, par exemple à Ultima Courchevel, le troisième leur apprend l’histoire du lieu pour connaissance personnelle et conseiller les clients, le quatrième est dédié au profil de nos clients et leurs attentes, et le cinquième explique ce que nous attendons du saisonnier. Nous pouvons monitorer qui a parcouru les modules. Cet outil permet aussi de digitaliser toute notre documentation et de partager l’actualité du groupe. Enfin, il y a aussi un module d’e-learning pour avoir des formations opérationnelles.
Faites-vous d’autres actions d’intégration ? Nous avons investi dans l’arrivée des équipes bien avant le début de la saison. Nous engageons aussi tout le monde un mois avant l’ouverture des propriétés pour la saison d’hiver. Nous leur faisons une intégration avec leur département, des formations spécifiques. Par exemple, pour les butler, nous avons travaillé avec un meilleur ouvrier de France pour leur apprendre à parler des grands vins, car nous avons une clientèle demandeuse. Ce mois d’intégration nous sert à les initier à notre business model, qu’ils aient le temps de se familiariser avec le lieu. Cette période sert aussi de test et d’entraînement avec des clients dans le cadre de voyages de presse ou fam trip, un voyage de familiarisation, organisés par nos services Sales & Marketing.
Un accompagnement de type mentorat est-il également prévu une fois la saison lancée ? Cela dépend des propriétés. Sauf l’établissement de Gstaad qui est un boutique-hôtel avec des chefs de département, nos propriétés sont privées avec des métiers particuliers. À Courchevel, nous avons 13 résidences avec un responsable de restauration qui va encadrer les butlers. À Megève ou Crans Montana, nous avons des property manager qui ont des compétences en hébergement et en restauration pour mentorer nos équipes.
Puis, chaque client est unique, car on ne sert pas en privé une personne comme dans un restaurant. Dans le privé, c’est le client qui choisit ce qu’il veut manger et pas le chef qui fait une carte. Cela peut aller d’un plat de pâtes à la sauce tomate pour toute la famille à un ice bar et un feu d’artifices. Cela demande une adaptation constante. Nous devons à chaque fois repenser le service en fonction du client. Il n’y a rien de standard et il est indispensable de garder nos équipes en alerte.
Le secteur hôtelier a changé ces dernières années. Comment faites-vous pour continuer à séduire ? Les collaborateurs ont la chance de pouvoir apprendre de nouveaux métiers, d’avoir de multiples tâches. Chez Ultima, vous avez l’occasion d’apprendre un métier. Une dame de chalet, étant au contact du client, peut progressivement devenirbutler, en leur apportant d’autres compétences.
Nous faisons aussi beaucoup de cross exposure, pour avoir une expérience croisée dans une autre propriété du groupe. Cela nous donne énormément d’attractivité, car les collaborateurs ne sont pas considérés que pour un métier et ont de la mobilité. Nous leur permettons aussi, par notre organisation simple, de grandir rapidement. Nous avons un head butler qui en trois ans est devenu directeur adjoint à Courchevel.
Nos destinations (Megève, Crans Montana, Gstaad, Courchevel, Corfou), le fait d’être différent, atypique par rapport aux autres palaces nous rend attractifs.
Au-delà de la mobilité et des évolutions rapides de carrière, quels nouveaux avantages avez-vous développé pour vos collaborateurs ? Nous logeons tous nos collaborateurs et nous privilégions les logements individuels qui sont un désir des saisonniers. Nous leur proposons aussi des transports. À Courchevel, nous avons trois voituriers dédiés aux transferts des collaborateurs entre leur logement et la propriété. Nous avons les bonus de fin de saison, la nourriture offerte. Concernant les logements, en Suisse, les collaborateurs payent, mais sont remboursés à 85 % si le logement est rendu propre. Cela amène une valeur ajoutée à notre politique RH.
Quel avantage mis en place pour vos collaborateurs vous rend le plus fier ? Les logements, car c’est l’un des nerfs de la guerre. J’ai été saisonnier à Saint-Tropez, où nous étions à trois dans une petite chambre. Aujourd’hui, nous leur avons donné du confort. À Corfou, les logements offrent une vue sur mer et certains possèdent une terrasse. Pour en discuter avec des confrères, ils sont loin de ça : certains font payer les logements et la nourriture. J’ai vu des logements à Courchevel, dans lesquels se trouvaient des matelas par terre et six personnes dormaient ensemble.
Quelle place donnez-vous à la formation de vos collaborateurs ? Nous sommes sur des formations de terrain. Avec 80 % de saisonniers, vous ne pouvez pas investir dans un plan de formation comme si vous n'aviez que des collaborateurs fixes. En parallèle de notre programme de formation onboarding, nous privilégions donc le coaching personnalisé avec des partenaires de choix qui nous aident à élaborer un programme sur-mesure
Je n’ai pas le temps de mettre en place des structures de formation, mais entre le on-job, l'e-learning, l’intégration, la formation des cadres à l’année au travers d’un accompagnement, je pars du principe que nous faisons beaucoup de choses au regard de notre activité saisonnière. La formation se fait aussi lorsque nous envoyons nos collaborateurs sur d’autres propriétés. C’est une sorte de formation transversale avec un autre environnement.
En quoi est-ce important pour vous de proposer de la formation à vos équipes ? Les tendances en termes d’attentes hôtelières changent très vite et ne sont plus les mêmes qu’il y a 20 ans. Les clients ont changé d’attitude et c’est important que nous disposions une politique de formation pour nous remettre en question. J’ai été trois ans professeur à l’école hôtelière de Genève, mais j’ai arrêté pour retourner dans l’opérationnel, car j’avais besoin de me « rafraîchir », de voir ce qui se faisait sur le terrain. La formation ne doit pas être à un instant T, mais elle doit être continue. Encore aujourd’hui, je me forme sur les outils de nouvelle génération.
Pensez-vous que tout ce que vous mettez en place contribue au faible turnover chez Ultima Collection ? Je ne dirais pas qu’il est faible, mais maîtrisé. Le turnover est compliqué à gérer quand on est saisonnier. Nous avons beaucoup de collaborateurs qui nous sont fidèles chaque année. Ce qui nous permet de fidéliser, c’est notre business model et notre style. Nous sommes une jeune entreprise avec beaucoup de projets de développements et d’ouvertures. Les collaborateurs peuvent se dire qu’ils n'ont pas fait le tour d’Ultima et qu’ils peuvent encore y évoluer.
Quand nous repérons un collaborateur avec un gros potentiel, nous faisons tout pour le garder. Nous avons un chef à Courchevel, nous réfléchissons comment le garder et le faire travailler cet été dans toutes nos résidences privées et éviter de le perdre l’été.
Le management est parfois pointé du doigt dans les départs de collaborateurs. Que conseillez-vous aux managers ? Et, que leur apportez-vous pour mener à bien leurs missions ? Nous donnons une grande autonomie, beaucoup de liberté et de responsabilités à nos managers, à tous les niveaux : chef de service, de département, directeur de site. Un manager qui ne se sent pas responsabilisé a l’impression d’être surveillé et contrôlé. Il ne donnera pas le meilleur à ses équipes. Nous ne bridons pas nos managers. Nous essayons de les mettre plus en lumière que dans un hôtel où la hiérarchie est plus établie. Ma philosophie est aussi de les inviter à se mettre à la place de leurs équipes et d’être plus des leaders que des managers, de leur montrer qu’ils savent faire aussi.
Dans quelle mesure les récentes crises vous ont amené à transformer votre organisation et la structure de vos équipes ? La crise Covid ne nous a pas affectés, car nous avons eu des clients qui recherchaient une forme de retraite pendant que les hôtels étaient vides. Ultima est sur un marché de niche et ne touche que 3 % de la population mondiale, les ultra-high-net-worth individual. Or cette clientèle a des habitudes de voyage exclusives.
Nous n’avons jamais senti de baisse d’activité. Le premier été après le Covid, nous n’avons jamais autant travaillé. Plus qu’en hiver à Gstaad. Nous n’avons donc pas transformé notre structure. Nous n’avons pas licencié, ni rationalisé les postes, mais au contraire, nous nous sommes agrandis. Nous avons un bureau à Genève, un autre à Londres, plus de propriétés. La guerre en Ukraine ou l’inflation n’ont pas affecté notre business.
Il y a presque quatre ans, vous nous aviez confié qu’Ultima Collection allait continuer de grandir. Vous avez depuis ouvert notamment des établissements à Corfou, Courchevel. Où en sont vos ambitions en termes d’ouvertures et de croissance, notamment dans les grandes villes européennes ? Jusqu’à présent, nous étions surtout sur des destinations montagne et mer. À l’automne 2023-printemps 2024, nous allons inaugurer une propriété et deux villas à Genève. Ce sera une version Ultima City avec l’objectif d’avoir des résidences de luxe en ville. Pour l’instant, nous ouvrons à Genève, d’autres villes suivront peut-être. On y retrouvera le même service signature. Il y aura également d’autres propriétés à la montagne et des surprises, encore secrètes, que nous préparent les propriétaires. Nous parlons de perspectives à deux ans.
Que cela signifie-t-il en termes de recrutement ? Pour Genève, contrairement à Megève, Courchevel ou Gstaad, nous serons sur des recrutements à l’année, car la propriété sera sous exploitation 12 mois. Cela va changer notre manière de travailler, mais pas nos métiers et les profils que nous recherchons.
Comment voyez-vous le marché du travail évoluer dans les années à venir ? Concernant le monde saisonnier, je pense que ce sera de plus en plus complexe. Nous faisons face à un problème climatique. Les saisons d’été sont de plus en plus longues et nous allons avoir un décalage. Si j’ai besoin d’un saisonnier d’avril à octobre ou mi-novembre à Corfou, comment pourrais-je avoir la même personne à Courchevel à partir de décembre et jusqu’à mars ?
Second point d’inquiétude, le monde des saisonniers risque de s’essouffler. Il y a 30 ans, c’était une façon de vivre. Or, la nouvelle génération demande de plus en plus des emplois à l’année pour se stabiliser. Elle veut avoir une vie personnelle. À un moment donné, nous ne pourrons pas garantir à tout le monde un emploi 12 mois par an. L’équilibre entre vie privée et vie publique tend à changer.
Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de travailleurs et de saisonniers ? Je ne suis pas de la génération millennial, maisj’essaie de la comprendre. J’ai l’impression qu’elle grandit plus vite et qu’elle a tout de suite envie de stabilité. Il y a quelques années, il y avait cette envie de voyager beaucoup, d’aller à l’autre bout du monde. Aujourd’hui, à la sortie de l’école, ils consentent à aller faire une expérience à Dubaï ou en Asie. Cependant, ils ont très vite envie de revenir à 30 ans pour se stabiliser, d’avoir des week-ends... Je peine à le comprendre, car le « match » n’est pas possible entre leurs attentes et les nôtres. Je me pose des questions sur l’avenir.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui désire intégrer l’industrie ? Quand on rentre dans le monde du travail, je vois des jeunes qui veulent être dans la finance, le marketing… Il faut accepter de rentrer par une porte, peu importe laquelle, accepter d’être plus polyvalent, plus ouvert à d’autres métiers que celui que l’on vise au départ. Il faut que ces jeunes aient non pas un mais plusieurs objectifs pour se donner plus de chances. Je les invite aussi à être plus humbles, car ce n’est pas parce qu’ils sont diplômés d'une école comme l’EHL par exemple, ou ailleurs, qu’ils peuvent directement accéder à un poste de directeur.
Ce métier nécessite de passer par le terrain avant de se propulser vers des fonctions dirigeantes. Un proverbe chinois dit : « Quand le cœur n’y est pas, les mains ne sont pas habiles ». L’hôtellerie, si on la fait juste pour gagner de l’argent, il faut changer. Il faut rester passionné. L’hôtellerie offre un plan de carrière, permet de se développer, offre la possibilité de voyager. Il y a des contraintes, mais c’est un secteur magnifique.
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