INTERVIEW – CHRIS NADER, FONDATEUR D'ENVI LODGES : « NOUS NOUS SOMMES FIXÉ CE PARI D'ENTRER DANS UNE RÉGION TRÈS DIFFICILE SUR LE PLAN DE LA DURABILITÉ »
Alors qu’il s’apprête à ouvrir ses premiers lodges de luxe, Chris Nader évoque ses ambitions et les écueils que rencontrent ceux qui s’engagent pour une hôtellerie plus vertueuse. |
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INTERVIEW – CHRIS NADER, FONDATEUR D'ENVI LODGES : « NOUS NOUS SOMMES FIXÉ CE PARI D'ENTRER DANS UNE RÉGION TRÈS DIFFICILE SUR LE PLAN DE LA DURABILITÉ »
Alors qu’il s’apprête à ouvrir ses premiers lodges de luxe, Chris Nader évoque ses ambitions et les écueils que rencontrent ceux qui s’engagent pour une hôtellerie plus vertueuse. |
Catégorie : Monde - Économie du secteur
- Interviews et portraits
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Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le 16-02-2024
L’hôtellerie coule dans le sang des Nader, et Chris n’a pas échappé à ce destin où l’hospitalité est plus qu’une passion, mais une valeur intrinsèque. Le goût des autres, la générosité, l’engagement envers des communautés et des destinations, mais aussi le sens du business et la volonté de fonder des projets concrets, autant de traits de personnalité et de sources de motivations qui ont conduit Chris Nader et Noelle Homsy à co-fonder Envi Lodges.
Chris goûte dès son plus jeune âge aux plaisirs des métiers de l’hôtellerie au sein du business familial, puis, plus tard, dans les restaurants et beach-clubs de son frère. Alors que ses proches l’incitent à ne pas prendre cette voie pour choisir des options plus confortables et rémunératrices, Chris sait qu’il veut se lancer dans le business hôtelier. Depuis le Canada où il réside alors, il hésite entre l’Ivy League avec Cornell et l’Europe et l’EHL Hospitality Business School. Il choisit l’EHL pour l’excellence et pour l’ouverture culturelle incarnée par l’école suisse.
Lors de son MBA, il séjourne dans un écolodge et réalise combien le modèle est intéressant, sous l’angle business et l’angle expérientiel. Une expérience authentique et mémorable, dont le confort est certes spartiate, mais où les émotions sont décuplées. Il s’essaie à plusieurs groupes hôteliers avant de décider de fonder Envi Lodges. En 2021, Envi voit le jour. C’est aujourd’hui depuis Dubaï qu’il pilote le lancement de ses lodges, dont le premier verra le jour en octobre prochain en Arabie Saoudite.
Défis d’un modèle plus vertueux, choix des emplacements, développements à venir, pour le Journal des Palaces, Chris Nader déroule avec transparence ce projet qui le fait vibrer au quotidien.
Quelle est la genèse et l’ADN d’Envi Lodges ?
Envi répond à plusieurs critères :
- Des hébergements alternatifs de luxe mêlant design et expérience,
- Un impact réduit grâce à une méthode de construction adaptée,
- Une immersion dans la nature à travers le choix du site,
- Une connexion à la culture locale et aux communautés, pour avoir un impact positif,
- Un modèle opéré de façon durable, parfois même régénérative,
- Une attention portée principalement aux expériences proposées, pas seulement à l’hébergement.
Comment définiriez-vous l’hôtellerie de luxe ?
Le luxe a différentes représentations selon les personnes, et peut même prendre plusieurs formes pour une même personne, selon le contexte. Si je séjourne dans un hôtel de luxe urbain, j’attends d’avoir une grande salle de bains avec une baignoire « free-standing ». Si je séjourne dans un lodge de luxe, le luxe, selon moi, c’est alors de pouvoir dormir dans une belle tente au cœur d’un site à couper le souffle, en sachant que mon empreinte est minimale, c’est la rencontre d’une espèce animale rare, c’est de goûter à l’expérience d’un repas de la terre à l’assiette, c’est d’avoir d’authentiques interactions avec les locaux.
Comment combinez-vous la philosophie de « lodges centrés sur la nature » avec le niveau de confort attendu par les voyageurs de luxe ? refusez-vous certaines demandes pour rester aligné sur ces valeurs ?
Le confort est un élément important de la marque. Nous sommes un opérateur de lodges de luxe, pas une marque de campings. Le luxe de base est alors de fournir un lit confortable, une douche chaude, la climatisation lorsqu’elle est nécessaire, une bonne restauration, un service attentionné et des expériences personnalisées. Mais, ce luxe doit être compris dans le contexte d’une hôtellerie de plein air.
Si vous séjournez dans un lodge, vous devez être conscients que certains éléments que l’on retrouve dans une hôtellerie de luxe traditionnelle ne seront peut-être pas disponibles.
Nous devons éduquer et sensibiliser pour aligner les attentes et éviter les déceptions. L’éducation est un point clef de notre mission de durabilité.
Êtes-vous également engagés à produire une restauration écoresponsable ?
Notre philosophie F&B est de prioriser la production de notre ferme et des fermes alentour. Nous souhaitons que la moitié de nos ingrédients proviennent de moins d’un kilomètre de nos lodges. Lorsque nous sommes dans des régions arides, nous élargissons ce cercle, et ne pourront pas trouver tous les ingrédients.
Mais, en plein désert, des clients désirent aussi avoir du saumon avec leurs œufs. Cela soulève la question du sourcing. Va-t-on importer ce saumon ? À quelle distance ? Ramène-t-on des saumons sauvages potentiellement plus lointains ? Si on veut être luxe, on doit s’interroger sur ces exigences des clients et faire des choix en conséquence.
Nous allons informer et sensibiliser le client lors de leur arrivée dans nos lodges en leur présentant notre jardin, notre potager, la démarche de nos chefs, l’élaboration des menus qui changent chaque semaine.
Quelles expériences uniques allez-vous proposer à vos clients ?
Lorsque nous concevons un lodge, nous commençons par réfléchir à l'expérience d'ancrage pour laquelle le lodge sera connu, l'expérience qui guidera le voyage des hôtes. C'est l'objectif principal du séjour, si l'on peut dire. Il peut s'agir de bien-être, d'aventure, d'agriculture, de culture ou de régénération de la nature.
Nous voulons, en effet, que nos hôtes bénéficient d'un programme complet d'expériences et d'activités en plein air, car on ne vient pas dans un ENVI pour rester dans sa chambre. Une fois que nous avons choisi l'expérience d'ancrage, nous développons le parcours du voyageur, choisissons les installations et imaginons comment nous pouvons impliquer nos hôtes à l'intérieur et à l'extérieur du lodge.
Comment se déroulera l’expérience d’arrivée ?
Avec 40 à 50 clefs, nous pouvons fournir un service personnalisé. Les clients qui arrivent sont accompagnés jusqu’à leur tente ou leur pod, où sera effectué le check-in. Ils y sont acheminés dans un buggy électrique ou tricycle.
Nous nous concentrons sur tout le parcours effectué par le client entre son arrivée à l’entrée de notre propriété et son lodge. Que va-t-il voir sur ce parcours ?
Nous allons lui montrer en chemin le jardin du chef, lui présenter le deck pour le yoga, les sensory path, nos pépinières, fermes solaires, etc. Toute une explication sera donc faite pour immerger le client dans cette ambiance Envi, entre bien-être, nourriture et durabilité. C’est un moment d’éducation pour le client.
Votre objectif est-il de proposer des expériences transformatives ?
La partie transformationnelle de l'expérience est le but ultime. Toutes les expériences ne sont pas transformatrices, mais nous nous efforçons de laisser une trace chez nos hôtes pendant leur séjour, en espérant que cela les marquera au-delà de leur séjour. Je pense en particulier aux expériences liées à la régénération de la nature ou à l'engagement avec la communauté locale.
Nous avons un projet à Oman sur un sublime terrain en montagne, qui a été dégradé par une personne qui a créé une usine de ciment. Nous y avons trouvé une mission noble, et avons pour objectif de redonner vie à ce terrain. Nos clients vont participer à ce projet, à travers diverses activités pour accompagner la régénération de ce lieu.
Nous avons également un projet de bord de mer à Oman, près d’un village de pêcheurs, au sein duquel un grand terrain vague est utilisé comme terrain de jeu par les enfants. Nos propriétaires débloquent des fonds pour que nous puissions créer un environnement plus vert, plus éducatif aussi pour les enfants du village.
Nous mettons également l'accent sur le bien-être dans tous nos lodges, sur la connexion avec la nature et avec soi-même, sur l'approche de la pleine conscience que nous avons du bien-être, de la nourriture et des activités.
Allez-vous devoir faire des concessions sur votre impact environnemental selon les destinations dans lesquelles vous vous implantez ?
Nous devrons, en effet, nous adapter sur certains points, notamment au sein de nos lodges qui vont naître dans les pays chauds du golfe.
Nous ne pouvons pas avoir un produit luxe aujourd’hui si les lodges ne sont pas climatisés, cela limiterait notre saison d’activité à deux à trois mois. Nous devons donc climatiser nos lodges dans ces destinations, où la saison dure de début octobre à fin mai, et même nos piscines lorsque nos lodges en sont équipés.
Aujourd’hui, dans ces climats-là, il est financièrement impossible, d’avoir une énergie complètement renouvelable, assez puissante pour climatiser tout le lodge et les piscines. Nous devons faire des choix avec nos investisseurs, qui ne sont pas des ONG. Ils sont prêts à avoir des fermes solaires pour fournir de l’énergie, mais c’est impossible pour alimenter les systèmes de climatisation.
Nous nous sommes fixé ce pari d’entrer dans une région très difficile sur le plan de la durabilité, pour sensibiliser les investisseurs et avoir un impact. De nombreux projets y sont extravagants, sans la moindre considération pour l’environnement. Mais, les gouvernements, notamment en Arabie Saoudite, sont en train de changer, de sensibiliser les investisseurs, et de mettre des fonds dans les énergies renouvelables, à l’image de ce qu’ils vont produire avec Red Sea Global. La force de frappe n’est pas la même pour des investisseurs privés.
Je préfère être présent au sein de ces destinations, développer nos lodges de la manière la plus vertueuse possible, en impactant moins l’environnement, en affrontant les zones grises.
C’est une problématique que nous ne rencontrons pas au Costa Rica ou Zanzibar par exemple.
Notre ambition est vraiment d’avoir un portefeuille de propriétés qui soit neutre d'ici cinq à dix ans. Mais, pour réaliser cet objectif, nous devons développer l’entreprise d’une manière équilibrée géographiquement, pour compenser les différents impacts que l’on peut avoir entre deux régions. Une experte en développement durable rejoint notre équipe dans quelques semaines, pour développer des expériences qui ont du sens, à destination de nos clients, et pour développer des standards qui vont nous permettre de mesurer notre impact.
Il est très important pour nous de communiquer sur ce qu’on arrive à réaliser, mais également sur ce que nous n’arrivons pas à faire, et pourquoi. Cela permet de sensibiliser les personnes, et cela crée une relation plus saine entre la marque et les clients.
Vous venez d'annoncer une expansion stratégique en France et des ambitions de croissance au Portugal, en Espagne, en Italie et en Grèce. Pourquoi avez-vous fait ces choix ?
L'Europe est un axe stratégique pour le groupe alors que nous planifions notre prochaine phase d'expansion. C’est un marché que nous connaissons bien, et la plupart des membres de notre équipe ont des origines ou des liens européens.
Nous nous intéressons actuellement au bassin méditerranéen, en commençant par la France, car son paysage naturel est très varié, allant de fermes en montagnes, en passant par les plages et les forêts. C'est une diversité topographique idéale qui nous permet de créer des circuits de lodges au sein de ces marchés.
Par ailleurs, les institutions européennes soutiennent fortement ces investissements à impact, ce qui est attractif pour une marque comme la nôtre.
Comment trouvez-vous des sites qui répondent à vos exigences dans ces destinations touristiques populaires ?
Certains marchés de l'Union européenne peuvent afficher des taux de remplissage élevés et offrir des expériences différentes en fonction de la saison. Je peux m'attendre à ce que les tarifs dépassent facilement la barre des 1000 euros dans certaines destinations.
Nous étudions actuellement quatre sites en France, en Grèce et en Italie. Nous disposons d'un solide réseau de consultants, de promoteurs et d'investisseurs qui nous aident à trouver ces sites. La taille du site est cruciale. En ce sens, nous avons des projets à faible densité qui sont positionnés dans l'espace de luxe, de sorte que la taille du terrain est suffisante pour assurer l'intimité et l'immersion. Nous créons des projets responsables avec lesquels nous protégeons l’environnement. S’il s’agit d’un terrain agricole, nous allons poursuivre l’activité d’agriculture, si c’est une forêt, nous allons la protéger et planter, proposer des activités et expériences en harmonie avec l’environnement.
La clé est de choisir des sites avec les bons permis et le bon zonage. En Europe, et plus particulièrement en Europe occidentale, modifier l'utilisation d'un terrain ou obtenir un permis de construire peut prendre des années. Nous tâchons de trouver des solutions de facilité.
Existe-t-il une taille critique de terrain pour implanter Envi Lodges ?
C’est une question importante que l’on nous pose souvent. Mais, cela dépend de ce qu’il y a autour du terrain. Un petit terrain, mais isolé, sans construction ni activité alentour, pourra nous permettre de positionner les lodges en préservant l’expérience immersive. Si, en revanche, un terrain offre une vue sur des espaces urbanisés ou dont les terrains voisins sont constructibles, nous devons nous assurer que le terrain sera assez grand pour immerger nos clients dans un environnement préserver.
Aujourd’hui, nous avons des terrains allant de 50.000 m² à 250.000 m².
Quels sont vos prochains projets ?
Nous nous préparons à ouvrir un lodge à Zanzibar et un lodge en Arabie Saoudite. Nous travaillons également à la finalisation de la conception des deux camps à Oman, dont l'ouverture est prévue l'année prochaine.
Nous espérons également commencer bientôt la construction de notre lodge de plage sur la mer Rouge saoudienne et de notre projet au Costa Rica. Nous dévoilerons bientôt notre second lodge dans la province orientale de l'Arabie saoudite, qui offrira une expérience très intéressante à nos hôtes. Nous sommes occupés à finaliser deux autres projets de fermes dans le Royaume, ainsi qu’un camp en Tanzanie, que nous espérons annoncer dans les prochains mois.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaite faire carrière dans l'hôtellerie de luxe ?
Le luxe a changé. Vous devez comprendre ce qu'est le luxe pour quel marché, et vous assurer que vous apportez l'innovation et la perturbation.
Oui, il y aura toujours l'opulence, l'or et le marbre qui sont associés à l’hôtellerie de luxe. Mais, ce n'est pas tout. La nouvelle génération veut un luxe différent et il n'est pas nécessaire de travailler dans un « Palace » pour faire carrière dans le secteur de l'hôtellerie de luxe.
Ainsi, il existe différentes voies dans le luxe que les étudiants en hôtellerie ne connaissent pas forcément. Ils pensent d'abord aux opérations ou au conseil, mais il y a aussi beaucoup d'autres domaines où démarrer une carrière, comme le développement (du côté de l'opérateur ou du propriétaire), le design, l'architecture, l'ingénierie ou la technologie.
Vous pouvez le faire en tant que salarié ou en tant qu'entrepreneur. Cela dépend de votre personnalité, de vos compétences et de vos ambitions. Si vous souhaitez être entrepreneur, je vous encourage à lire des livres et des biographies d'hommes d'affaires, à écouter des podcasts, à vous instruire, à être curieux.
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