INTERVIEW - ELLIOTT BARNES, FONDATEUR ELLIOTT BARNES INTERIORS : « JE CHERCHE À FAIRE BATTRE LE COEUR, À PROVOQUER UNE ÉMOTION » (France)
Originaire des États-Unis et naturalisé français depuis sept ans, Elliott Barnes balade sa créativité et sa sensibilité à travers les univers, au service d’un luxe discret et métamorphe. |
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INTERVIEW - ELLIOTT BARNES, FONDATEUR ELLIOTT BARNES INTERIORS : « JE CHERCHE À FAIRE BATTRE LE COEUR, À PROVOQUER UNE ÉMOTION » (France)
Originaire des États-Unis et naturalisé français depuis sept ans, Elliott Barnes balade sa créativité et sa sensibilité à travers les univers, au service d’un luxe discret et métamorphe. |
Catégorie : Europe - France - Interviews et portraits
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Interview de Christopher Buet le 27-07-2023
Se plonger dans l’univers d’Elliott Barnes relève de l’expérience, celle d’un voyage tout en subtilité et en retenue. Le style de l’Américano-Français demande de la réflexion, car il ne saute pas au regard au premier abord. Comme il a pu le dire, il est d’une « extravagance calme », un jeu de contrastes jamais complètement lisse où il s’efface derrière un projet pour mieux en magnifier les contours et le caractère, ne distillant sa contribution que dans quelques détails choisis, que seuls les plus attentifs sauront identifier.
Pour profiter d’un lieu ou d’un objet passé entre les mains de l’artiste, il faut savoir s’abandonner pour en ressentir les volumes, l’organisation et les textures. Ces textures dont il a fait l’une des signatures de son travail protéiforme, en perpétuel renouvellement selon le projet qui le porte.
Ainsi pour la Maison Ruinart, le Parisien d’adoption s’est amusé à concevoir le nouvel espace de dégustation en utilisant pour seuls matériaux ceux du site, du verre des bouteilles en passant par le bois des fûts et la pierre des carrières, quand en Allemagne, il a fait du Ritz-Carlton de Wolsfburg, une évocation de Volkswagen, car abrité sur le site d’Autostadt.
Elliott Barnes ne se range dans aucune case et se balade d’un univers à un autre comme pour mieux échapper aux codes. Un héritage de sa double culture, lui qui a grandi à Los Angeles, mais a étudié au lycée français dès ses 4 ans, mais aussi de sa formation aux côtés d’Andrée Putman.
C’est avec une voix douce et avenante que le contrebassiste à ses heures et fan de jazz, a pris le temps de se perdre avec le Journal des Palaces dans les méandres de sa créativité, avec en rythme de fond cette curiosité à fleur de peau et une humilité qui le guident.Journal des Palaces : Quel est votre parcours ? Que vous ont apporté vos collaborations avec Andrée Putman ?Elliott Barnes: Tout a commencé quand je suis arrivé en France chez Andrée Putman dans son bureau qui s’appelait Ecart International. Nous avons travaillé sur quelques projets d’hôtels d’exception, dont un de huit suites au Japon. Ensuite, elle s’est séparée d’Ecart pour monter une agence à son propre nom (ndlr : Studio Putman) et m’a demandé d’être associé et directeur du bureau d’études. Nous avons eu l’occasion de travailler pour la marque Ritz-Carlton en Allemagne sur le site Autostadt de Volkswagen. C’était un hôtel de 172 clés. Nous avons aussi fait des projets résidentiels de haute facture.
Quand j’ai monté mon agence en 2004, j’ai été rappelé par l’équipe d’Autostadt pour revisiter l’hôtel. Cela a été une belle expérience de quatre ans à travailler pour un constructeur automobile qui amène des notions de praticité dans un monde de luxe pour peaufiner le design. Dernièrement, j’ai travaillé avec un indépendant à Paris pour le Montesquieu, un hôtel de 18 suites. Il y a eu bien d’autres projets aussi comme le centre de dégustation de la Maison Ruinart ou avec Christofle…En quoi est-ce intéressant de ne pas faire que des projets hôteliers ?Je pense que je me dois de me remettre en question. La diversité permet de créer des ponts entre les différents sujets et d’apporter des idées nouvelles. Ce sont des respirations intéressantes qui me permettent d’apporter quelque chose de différent à mes clients.Andrée Putman défendait la créativité et surtout la curiosité. Est-ce d’elle que vous tenez ce goût pour la diversité des projets ?Depuis mon plus jeune âge, aux États-Unis, j’ai été poussé par mes parents dans des activités très variées. J’étais très curieux, je dessinais beaucoup aussi bien du mobilier que des bateaux, je faisais de la musique, je dansais… Toutes ces notions de stimulation sur des environnements très différents faisaient partie de moi.
En arrivant chez Ecart, le travail d’Andrée a fait sens pour moi. Elle mélangeait les époques, regardait des personnages comme Jean-Michel Franck (ndlr : décorateur français de la période Art Déco), créait tout en observant des meubles anciens et traditionnels. Son approche était très variée. J’ai tout de suite su que c’était avec elle que je voulais apprendre ce métier d’architecte d’intérieur.Vous soutenez justement que la connaissance de l’histoire permet de libérer la création et vous transmettez cette idée à vos collaborateurs. Pourquoi ?J’ai besoin du regard neuf de la nouvelle génération, de leur approche pour me nourrir et remettre en question ce que j’ai appris. Nous sommes un bureau d’études pas une école. Je ne dicte pas comme un professeur, mais nous sommes dans une masterclass permanente avec cette notion d’échanges et de transmission.
Quand je voyage, je passe mon temps à prendre des photos et à les envoyer pour faire réfléchir. J’étais récemment à Mantoue et j’ai envoyé des photos de la Basilique Saint-André, bâtie en 1472, pour que mes collaborateurs se rendent compte des proportions de la Renaissance. Grâce à ça, j’oriente mes équipes, je leur dis d’aller voir le travail d’Otto Wagner, Adolf Loos, Paul Williams ou à aller regarder comment est dessiné Paris.
Dans le luxe et les projets d’exception, la beauté est liée à la fonction et la praticité. Quand vous ouvrez le capot d’une Ferrari, le moteur est beau, parfaitement dessiné, mais rien n’est gratuit. Cela rejoint le travail des architectes de renom.Le beau et l’utile sont indissociables chez vous ?L’un ne va pas sans l’autre. J’ai eu l’occasion d’amener mon fils à la Villa Rotonda de Palladio (ndlr : dessinée entre 1566 et 1571). Toute la construction de cette villa, qui est un carré inséré dans un cercle, est assez parfaite parce que toute la circulation des salariéspasse dans des coins. Si vous dinez dans le hall central, le service arrive et repart sans que vous ne voyez rien. Nous sommes à la Renaissance et on a déjà cette notion de mariage entre le fonctionnel et l’esthétique.Quelle est votre vision du luxe ?Le luxe n’est pas tape à l’œil, il est invisible, très subtil et délicat. Surtout, le luxe n’est pas démocratique, il est fait pour vous. À chaque fois que le luxe s’ouvre, il se recontracte et s’échappe vers l’exclusif. Je préfère d’ailleurs parler d’exclusivité et d’exception plutôt que de luxe.Comment définiriez-vous votre style et la philosophie de votre travail ?Je crée des intérieurs qui sont des toiles sur lesquelles les moments d’une vie peuvent se passer. C’est une sorte d’équilibre délicat et subtil entre le besoin d’exister, de dessiner des volumes, de créer des passages, travailler la lumière et celui de s’effacer pour faire en sorte que vous passiez un meilleur moment sur un meuble que j’aurais dessiné ou dans un intérieur que j’aurais imaginé.
Je suis dans l’accompagnement, dans le « made for you ». Par exemple, ce que j’ai fait pour Ruinart est très détaillé et fait pour eux et n’a rien à voir avec ce que je veux proposer à Billecart-Salmon où je cherche d’autres notes et accords. Je ne suis là que pour aider à exprimer et révéler un caractère. Imposer un look, quel ennui, c’est l’anti-luxe. L’exception et les choses uniques sont à l’écoute.
En termes d’esthétique, j’aime confronter les textures, l’ombre et la lumière. Quand tout est lisse et parfait, c’est un peu boring. Je cherche à faire battre le cœur, à provoquer une émotion, évoquer une sensation de curiosité.En quoi vos collaborateurs nourrissent-ils votre inspiration ?Nous sommes avec une génération de l’écran, qui maîtrise des outils digitaux et numériques donnant un autre regard sur l’espace. Aujourd’hui, ils ont une ouverture beaucoup plus grande et ont à leur disposition beaucoup plus d’informations. Ils travaillent plus vite et grâce à ça, nous pouvons aller plus loin. Je peux prendre plus de temps dans mes réflexions, car derrière, la rapidité de l’exécution sera là.Comment s’articule votre travail avec les hôteliers ? Jusqu’où poussez-vous la réflexion et la collaboration ?À chaque fois, c’est différent et cela dépend aussi bien du contexte que de l’hôtelier. Si la marque est propriétaire, elle va venir avec un cahier des charges et je vais devoir y trouver des appuis et créer une histoire en fonction du lieu, du programme.
Si je travaille avec un propriétaire qui a demandé à une marque d’exploiter son patrimoine, c’est un autre débat parce que le rapport sera plus avec le propriétaire qu’avec l’hôtelier, comme ce fut le cas avec le Ritz-Carlton qui était l’exploitant et Autostadt le propriétaire. Ce dernier a mis à ma disposition sa manière de réfléchir pour créer des voitures.
Quand je travaille avec un propriétaire exploitant, c’est encore différent, car là, nous sommes dans le très spécifique, l’unique. Nous allons exprimer, non seulement un thème, mais aussi la volonté du propriétaire d’exister à travers le projet. Un hôtel de propriétaire, pour moi, c’est comme dessiner une grande maison sauf qu’il y a 75 chambres.Peut-on dire qu’ils vous proposent une forme de script et que vous êtes chargé de le mettre en scène ?Pour un hôtel, j’ai imaginé deux copains qui ne s’étaient pas vus depuis 15 ans et qui se sont donné rendez-vous à Paris. Je racontais leur histoire d’amitié et la manière dont ils allaient arriver à l’hôtel, comment ils allaient être reçus. J’ai travaillé ainsi sur l’architecture, mais également l’accueil. Ça permet de rêver, d’imaginer des choses qu’un autre n’aurait pas vu. Cela peut aider à se rendre compte si nous sommes justes par rapport au projet ou pas, de poursuivre dans un cas et de corriger dans l’autre.Quel regard portez-vous sur l’architecture d’intérieur dans les hôtels de luxe et son évolution au fil des années ?Nous sommes dans une grande période d’ostentation où les gens veulent se montrer. Nous devons donc trouver des espaces qui parlent beaucoup même si je pense qu’il reste de la place pour des choses « plutôt calmes et discrètes ». J’ai aussi vu arriver un vrai travail sur le service et la manière dont les gens sont reçus.Vous êtes Américain et vivez à Paris. En quoi cela influence-t-il votre approche des projets que vous menez, et comment avez-vous été influencé par la culture française ?J’ai pris la nationalité française, il y a sept ans, mais à l’âge de quatre ans, mes parents m’ont inscrit au lycée français de Los Angeles où je suis resté dix ans. La formation que j’ai eue aux États-Unis m’a appris la praticité, à faire des choses qui fonctionnent et qui vont durer dans le temps. J’y ai aussi appris à aller au fond d’un dessin parce qu’à travers notre dessin, on donne une instruction.
J’ai amené cette base en France où j’ai rencontré des artisans de 3ᵉ ou 4ᵉ génération qui m’ont dit de ne pas conceptualiser de l’intérieur vers l’extérieur, mais de me contenter de l’extérieur, car eux se chargeront de l’intérieur.Quelles sont les exigences des hôtels par rapport à votre travail ?Personne ne veut être un cobaye. L’éphémère ne les intéresse plus. Ils veulent des choses belles qui vont durer et fonctionner. Quand je suis arrivé en France, on était très préoccupé par la beauté. Plus maintenant. Il y a eu un vrai changement. Aujourd’hui, le choix des matières est moins pardonné par les clients. Nous sommes tenus responsables de ce que nous imaginons.Vous aimez utiliser des matières insolites ou peu communes. Comment choisissez-vous vos matières au-delà des cahiers des charges qu’on vous impose ?Ce sont souvent les projets qui dictent le choix de la matière. Je pense au projet de rénovation du centre de dégustation de Ruinart. La nature de la maison, le processus de vinification, sa simplicité et son authenticité m’ont donné l’idée de dire au président que tout ce dont j’avais besoin se trouvait déjà sur site. Pour le verre, j’avais les bouteilles, pour le bois, il y avait les fûts, les pierres étaient dans les carrières de craie, etc. Il y avait un vocabulaire de matière à utiliser.
À Autostadt, chez Volkswagen, la manière dont j’ai conçu les têtes de lit a été fortement influencée par le siège arrière de certaines de leurs voitures. Nous avons inclus des tiroirs cachés, des choses qui s’ouvrent dans les têtes de lit, mais aussi dans certains meubles. Nous avons travaillé un certain type de cuir et de coutures pour rappeler l’ambiance d’une automobile.Vous défendez une démarche très collaborative, à l’image d’un groupe de musique où chacun apporte sa contribution. Cette approche vous vient-elle de votre amour pour le jazz ?Je suis contrebassiste dans l’âme et ma position est d’établir le tempo, de cadrer tout le monde en donnant un fond rythmique sur lequel les autres peuvent s’exprimer. De cette manière, la contrebasse entre en discussion et en accord avec les autres membres du groupe. En jazz, il y a cette technique du « questions and answers » où le contrebassiste joue un accord puis s’arrête et laisse le piano jouer, qui s’arrête pour laisser la trompette jouer… Chaque instrument écoute l’autre et n’est pas enfermé dans son univers.
Nous vivons en communauté et nous avons besoin des autres. Les projets ne sont que des miroirs de la vie. L’idée de tout faire tout seul est d’une grande tristesse. Al Pacino disait : « Si vous arrivez dans une soirée et que vous pensez être le plus intelligent de la pièce, c’est que vous êtes dans la mauvaise pièce. »Quel a été votre projet le plus exceptionnel dans l'hôtellerie de luxe ? Pourquoi ?Le Ritz-Carlton à Autostadt, car on m’a demandé d’aller au-delà d’une simple rénovation et d’aller au bout de la notion de luxe en tant que service. C’était un grand projet qui se déroulait en Allemagne avec une manière de travailler très différente. Cette expérience m’a permis d’aller chercher des fabricants de verre à Murano pour élaborer avec Deutsche Werkstätten (ndlr : fabricant de meuble), à Dresde, des pièces imaginées par un Américain parlant français. Il y a eu un mélange de trois ou quatre cultures. Les dirigeants d’Autostadt m’ont donné cette possibilité, car ils voulaient des choses conçues par moi et pour eux.Quels sont vos projets actuellement ?Nous menons une réflexion avec la maison Billecart-Salmon qui va s’achever dans un an. Nous sommes sur un projet de chalet de 10 chambres pour accueillir 25 personnes à Verbier. Pour ce genre de maison, nous avons une approche hôtelière. Nous mettons en place des collaborations aussi en ameublement et en éclairage. Nous préparons en même temps la scénographie d’une exposition au Jewish Museum (ndlr : du 13 octobre 2023 au 18 février 2024) à New York.Quel serait le projet de vos rêves ?J’aimerais bien dessiner l’intérieur d’un avion, une église ou alors un resort isolé dans le désert.Quelles seront, selon vous, les tendances hôtelières dans les années à venir ?Nous allons vers de plus en plus d’individualisation. Les gens voyagent de plus en plus et sont de plus en plus exigeants. Ils recherchent constamment quelque chose de différent, de plus exclusif et unique. Ils veulent dire: « Personne n’a fait ça avant moi ». Ça nous oblige, nous, à chercher de plus en plus loin et j’adore ça.
L'avis du Journal des Palaces : Une vision de l'architecture et du luxe tout en délicatesse, qui a conduit, sans surprise, le jury des Talents du luxe et de la création, à décerner à Elliott Barnes le trophée "Talent de l'Élégance" lors du dernier du Sommet du Luxe et de la Création, qui s'est déroulé le 15 juin 2023 à l'InterContinental Paris Le Grand.
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