INTERVIEW – JEAN-PHILIPPE KERN, DIRECTEUR DES OPÉRATIONS, BEAUMIER : « SOYONS OUVERTS D'ESPRIT POUR INTÉGRER AU SEIN DES ÉQUIPES DES PERSONNES PASSIONNÉES, VOLONTAIRES PLUTÔT QUE DE MISER QUE SUR LE SAVOIR-FAIRE QUI PEUT S'APPRENDRE » (France)
« Il faut aller vers plus de personnalisation comme pour nos clients. Nous accompagnons nos équipes à la transmission des savoirs, et pensons que les talents de demain sont ceux que nous formerons aujourd’hui »
INTERVIEW – JEAN-PHILIPPE KERN, DIRECTEUR DES OPÉRATIONS, BEAUMIER : « SOYONS OUVERTS D'ESPRIT POUR INTÉGRER AU SEIN DES ÉQUIPES DES PERSONNES PASSIONNÉES, VOLONTAIRES PLUTÔT QUE DE MISER QUE SUR LE SAVOIR-FAIRE QUI PEUT S'APPRENDRE » (France)
« Il faut aller vers plus de personnalisation comme pour nos clients. Nous accompagnons nos équipes à la transmission des savoirs, et pensons que les talents de demain sont ceux que nous formerons aujourd’hui »
Un pied dans les eaux chaudes et délicates de la Méditerranée, un autre dans la neige fraîche sur les pistes des Alpes. Beaumier, anciennement les Hôtels d’en Haut, a quitté son refuge dans les hauteurs alpestres pour s’ouvrir à une économie plus large. D’un hôtel en 2011, le groupe en compte à présent onze dont huit en France. Des établissements au caractère unique, ancré dans la tradition, l’esthétique et le respect de leur territoire respectif.
Une réussite que Beaumier entend pérenniser. Plusieurs projets devraient ainsi voir le jour à travers l’Europe et renforcer sa présence sur un marché à la concurrence certaine. Si le groupe n’a pas voulu en dire plus à ce sujet, il avance sereinement, fort d’une identité claire et conscient des enjeux à relever.
L’un des principaux concerne la structuration de ses équipes. Employeur saisonnier, Beaumier cherche de la continuité afin d’asseoir son identité et sa vision de l’hospitalité. Un objectif qui implique une politique de recrutement maligne et attractive pour garder ses meilleurs éléments, relais des valeurs de l’entreprise, et attirer les nouveaux talents.
Cuisinier à ses débuts et devenu dirigeant chez Novotel puis Sofitel, Jean-Philippe Kern connaît par cœur l’univers de l’hôtellerie et participe à la consolidation du modèle de Beaumier, qu’il a rejoint en 2022, en qualité de directeur des opérations. Avec enthousiasme, il s’est confié au Journal des Palaces sur la politique de recrutement et de gestion des collaborateurs mise en place au sein du groupe au cœur d’une période qu’il voit pleine d’opportunités.
Journal des Palaces : Comment se structure le groupe Beaumier et combien compte-t-il de collaborateurs ?
Jean-Philippe Kern : Beaumier regroupe 11 hôtels (L’Alpaga à Megève, Les 3 Vallées à Courchevel, Le Val Thorens et le Fitz Roy à Val Thorens, Capelongue à Bonnieux, Le Moulin et Le Galinier à Lourmarin, Les Roches Rouges à Saint-Raphaël, Petunia à Ibiza ainsi que Le Silberhorn et le futur Grand Hôtel Belvédère à Wengen en Suisse) et une centrale de fonctions support. Ceci représente, pour la France, entre 250 et 320 collaborateurs, dont 25-30 % en CDI et une vingtaine de pourcents de CDD renouvelés chaque année.
Les Hôtels d’en Haut ont été rachetés, en 2019, par la société d’investissement américaine KSL Capital Partners, et sont devenus Beaumier en 2021. Où en est-on du plan d’expansion du groupe ?
Le groupe Beaumier a connu une forte expansion, puisque nous avons fait grandir notre portefeuille de cinq hôtels à aujourd’hui 11 propriétés, en trois années. Cette croissance a notamment permis au groupe de continuer à grandir en France (en Provence) ainsi qu’à l’étranger avec des établissements en Suisse et en Espagne.
L’hôtel Petunia (Ibiza) a récemment ouvert ses portes sous les couleurs Beaumier, et la saison prochaine, nous ré-ouvrirons le Grand hôtel Belvédère à Wengen (Alpes suisses) après un important programme de travaux.
D’autres ouvertures d’établissements sont-elles prévues et si oui, lesquelles ?
De nombreux projets sont en cours, mais à ce jour, nous ne souhaitons pas communiquer plus de détails sur ceux-ci.
Beaumier est aujourd’hui toujours en forte croissance, à la fois sur les pays où il est déjà implanté (France, Suisse, Espagne) mais aussi dans d’autres destinations comme l’Italie ou le Portugal. Notre ligne directrice reste toujours d’offrir des propriétés dans des environnements naturels exceptionnels, à la fois dans des destinations hivernales (station de ski) et estivales (littoral, plage, campagne et lac).
Beaumier a récemment contracté un prêt de 200 millions d’euros. Pourquoi ?
Comme l’a dit récemment la directrice financière de Beaumier Oriane Emsalem, ce partenariat (avec Cheyne Capital) entre dans le cadre de la stratégie de croissance du groupe avec l’acquisition à l’avenir de nouvelles destinations et va permettre de se concentrer sur le repositionnement de nos hôtels à Wengen et dans le Luberon.
Quelle politique de recrutement avez-vous mise en place ?
Pour attirer les meilleurs talents, nous avons entrepris de construire notre marque employeur. Cela s’est déjà joué en interne avec la volonté de développer un esprit d’équipe et de collaboration auquel pourrait adhérer tous nos collaborateurs.
Nous nous sommes aussi assurés que l’expérience Beaumier soit complète et bien intégrée par toutes et tous afin qu’elle soit transmise aux nouveaux venus. En outre, nous avons conçu une plateforme de recrutement connectée.Grâce à cela, nous fidélisons nos collaborateurs et nous nous assurons de leur loyauté et de leur implication sur le long terme.
Comment analysez-vous la situation actuelle du marché de l’emploi ?
Notre secteur de l’hôtellerie-restauration fait actuellement face à de fortes tensions de recrutement, mais qui semble s’améliorer depuis la dernière saison d’hiver. Nous sommes constamment en train de renforcer notre attractivité, de trouver de nouveaux moyens pour attirer les candidats et être un employeur de choix.
Lesquels ?
Nous travaillons sur le référencement internet de nos annonces. Cela nous a obligé à créer du contenu, à communiquer sur nos valeurs.
Nous avons travaillé aussi sur notre grille salariale pour offrir une rémunération compétitive. Ainsi, nous revoyons aussi nos grilles de salaires annuellement et mettons en place des incentives. Il s’agit d’une « incitation collective » pour toutes les équipes de l'hôtel qui se décline en trois axes : intéressements sur le CA réalisé dans un hôtel hors hébergement et sur lequel les collaborateurs peuvent avoir un impact, les résultats qualité à travers "Trust You" (plateforme d’intelligence artificielle agglomérant les retours clients fournissant un score global), et un dernier sur l'attitude et le comportement du collaborateur (évalué par le directeur de chaque établissement, ndlr).
Comment s’articule votre offre de formation auprès de vos salariés ? Comment se passe la montée en compétences ?
Notre projet est de proposer à moyen terme un catalogue complet de formations métiers, culture d’entreprise… et rendre le collaborateur davantage acteur de sa carrière. Accompagner nos collaborateurs au travers de formations pour répondre aux ambitions de la marque en termes d’expérience client, transmission des valeurs, et permettre l’épanouissement et la montée en compétences de chacun.
Quelles opportunités vous offre la situation particulière du secteur en termes de recrutement ? Comment en tirez-vous profit ?
La situation actuelle nous oblige à être constamment en recherche d’innovation, de faire autrement et mieux qu’avant afin d’attirer les nouvelles générations, de séduire et retenir les talents d’aujourd’hui en démontrant que nous sommes au fait et que nous progressons en fonction des nouvelles attentes comme l’hybridation.
Qu’entendez-vous par hybridation?
Aux Roches Rouges à Saint-Raphaël, j’ai des employés qui travaillent sur la saison estivale et le reste du temps, ils récupèrent leurs congés et vont aider d’autres établissements. Nous essayons d’être créatifs, de proposer quelques CDI dans chaque hôtel pour préparer la saison, le recrutement… La Covid a aidé dans cette remise en question. Il faut réfléchir à l’année et non au quotidien. Avant de dire à quelqu’un que nous n’avons pas de solutions pour lui, nous devons nous poser la question de savoir ce que nous pouvons lui proposer.
Il est plus difficile de trouver des profils qui peuvent enchaîner saison d’hiver et d’été sur la durée. Nous sommes sur un marché de l’emploi où nous devons faire des efforts. Cet été, nous avons eu moins de problèmes de recrutement et c’est peut-être parce qu’on s’est remis en question et qu’on s’est adapté. Les stratégies évoluent en fonction du marché.
Selon vous, dans quelle mesure le recrutement dans l’hôtellerie de luxe et la restauration gastronomiquepeut-il se moderniser ?
Il faut aller vers plus de personnalisation comme pour nos clients. Nous accompagnons nos équipes à la transmission des savoirs, et pensons que les talents de demain sont ceux que nous formerons aujourd’hui. Soyons ouverts d’esprit (sur certaines fonctions !) pour intégrer au sein des équipes des personnes passionnées, volontaires plutôt que de miser que sur le savoir-faire qui peut s’apprendre.La profession doit réussir à répondre aux défis de la situation de l’emploi, tout en protégeant notre singularité française.
Quels profils sont le plus difficile à recruter ?
Les profils en salle et en cuisine, principalement les postes de Chef de rang / Chef de partie. La formation, la rémunération, les conditions de travail, les horaires sont autant de facteurs qui ont compliqué le recrutement au fil des ans.
Comment se déroule l’intégration des nouveaux collaborateurs au sein du groupe ?
Il y a deux volets : l’onboarding et la brand immersion. Nous prévoyons un temps nécessaire à l’intégration d’un nouveau collaborateur en saison en lui permettant un accompagnement et une découverte de son environnement de travail, des outils et une sensibilisation à l’hospitalité selon Beaumier. La rencontre entre nos équipes, le partage est primordial. Nous donnons aussi la possibilité aux nouveaux venus de dormir dans d’autres hôtels du groupe.
Vous souhaitez lancer une application dédiée aux problématiques RH. Quelsera son but exact et comment fonctionnera-t-elle ?
Nous étudions des outils de ressources humaines agrégeant l’ensemble des éléments RH dont peuvent avoir besoin les salariés. Nous aimerions que chaque personne, dès la signature de la promesse d’embauche, puisse découvrir notre univers, se former. Nous aimerions qu’elle soit opérationnelle dès cet hiver. Ce serait une extension des RH, accessible à tout moment et où les collaborateurs pourraient nous faire des retours de façon publique ou anonyme.
Nous sommes très bons sur l’expérience client dans l’hôtellerie-restauration, mais il faut savoir le faire aussi pour l’expérience collaborateur. Il faut une cohérence entre les deux, et moins il y aura de décalage, mieux ça ira.
Quelle place accordez-vous à la mobilité interne au sein du groupe Beaumier ?
Elle est primordiale. C’est un travail collectif et permanent que de s’assurer de la bonne mobilité de nos collaborateurs au sein de nos diverses destinations.
Pourquoi ?
D’un côté, nous avons une majorité de CDD et de l’autre, nous voulons une identité forte qui nécessite des piliers dans chacun de nos hôtels qui pourront améliorer les expériences clients et collaborateurs. Ayant des hôtels d’été et d’hiver, il est évident de vouloir favoriser la « transhumance » des équipes qui connaissent nos valeurs. Il faut travailler cette mobilité entre les hôtels, identifier quels collaborateurs sont prêts à nous suivre de la mer à la neige et vice-versa, les accompagner et les récompenser. Cela nécessite un suivi RH particulier, une cohérence de groupe et une compréhension fine des attentes de chacun afin de mieux retenir les collaborateurs.
Le management est parfois pointé du doigt dans les départs de salariés. Que conseillez-vous aux managers ? Et que leur apportez-vous pour mener à bien leurs missions ?
Nous misons en priorité sur la formation de nos leaders afin qu’eux-mêmes puisse accompagner au mieux de développement professionnel de leur équipe.
Nous mettons en place des coachings individuels et collectifs pour accompagner nos managers dans leur management et leur problématique courante.
Quelles sont les valeurs que vous et Beaumier cherchez à transmettre ?
La première est l'engagement. Plus qu’un emploi, travailler à Beaumier est un choix de vie. La seconde valeur importante chez nous est la confiance. C’est la clé pour progresser, trouver des solutions et grandir ensemble.
La troisième tient au leadership. Pour nous, les dirigeants sont des guides qui inspirent les gens et montrent la voie à suivre. Ce sont aussi des faiseurs, des auditeurs et ils s’épanouissent pour faire bouger les choses.
En lien, nous prônons le travail d’équipe car les grandes choses en affaires ne sont jamais faites par une seule personne. Le partage est une autre valeur que nous défendons. Au fond, l’hospitalité, c'est accueillir les clients à bras ouverts et avec cœur, créer des relations généreuses et significatives, basées sur une véritable gentillesse.
Enfin, Beaumier revendique une méthodologie dans la façon dont nous travaillons à travers un ensemble de règles simples équilibrant l’orientation concrète avec la liberté d’exercer la créativité.
En quoi la proposition hôtelière de Beaumier se démarque-t-elle ?
Quand on voit notre projet à Capelongue (dans sa deuxième phase de rénovation), nous avons tout pensé en local jusqu’à la construction avec des tomettes du Luberon. Nous voulons reconnecter la nature et l’humain avec une hôtellerie authentique et de terroir. C’est une proposition différenciante qui fait que certains viennent postuler chez nous plus qu’ailleurs. Nous voulons être reconnus comme un hôtelier responsable, de bon sens, prônant un tourisme responsable, rural et doux.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui envisage de lancer sa carrière dans ce secteur de l'hôtellerie de luxe ?
Faites confiance à vos leaders. Les nouvelles générations veulent aller plus vite. Nous devons nous adapter, mais sans confondre vitesse et précipitation. Il faut avoir conscience du rythme de travail, de carrière, être patient et courageux, commencer par les bases du métier pour gagner en expérience et grandir sur sa fonction avant d’envisager vouloir diriger un hôtel.
Journaliste aux multiples atouts et voyageur curieux, Christopher a une grande appétence pour les établissements au raffinement soigné, où s’accordent gastronomie de caractère, service impeccable et élégance sincère. Une plume discrète et gourmande au service d’une certaine idée du luxe.