INTERVIEW - IVAN ARTOLLI - DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'HÔTEL DE PARIS : « VOUS ÊTES TOUJOURS SERVITEUR D'UNE ÉQUIPE MÊME SI VOUS EN ÊTES À LA TÊTE » (Monaco)
Récompensé du prix de Leading Legend 2022, Ivan Artolli se confie sur son travail d’orfèvre à l’Hôtel de Paris à Monte-Carlo dont il est le directeur général depuis 2016, sa vision de l’hôtellerie de luxe, et des défis qui l’attendent. |
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INTERVIEW - IVAN ARTOLLI - DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'HÔTEL DE PARIS : « VOUS ÊTES TOUJOURS SERVITEUR D'UNE ÉQUIPE MÊME SI VOUS EN ÊTES À LA TÊTE » (Monaco)
Récompensé du prix de Leading Legend 2022, Ivan Artolli se confie sur son travail d’orfèvre à l’Hôtel de Paris à Monte-Carlo dont il est le directeur général depuis 2016, sa vision de l’hôtellerie de luxe, et des défis qui l’attendent. |
Catégorie : Europe - Monaco - Interviews et portraits
- Interviews - Les Leaders du secteur
Interview de Christopher Buet le 13-01-2023
L’histoire ne dit pas s’il a eu le temps de visiter le célèbre site archéologique de Chichén Itzá et apercevoir les pyramides aztèques, situés non loin de Riviera Maya où se tenait l’année dernière la conférence annuelle des Leading Hotels of the World (LHW). Une chose est sûre, Ivan Artolli a été honoré au Mexique par les directeurs et propriétaires de 404 hôtels de luxe indépendants et les leaders de l’industrie, regroupés sous l’appellation Leading Hotels of the World. Ces derniers, ses pairs, lui ont décerné le prix Leading Legends. La récompense de 35 années dédiées à participer au rayonnement de l’hôtellerie de luxe.
Depuis son adolescence, le natif de Padoue a voué sa vie à cette industrie unique, y voyant la possibilité de transcender sa condition et d’assouvir sa soif de connaissances et de voyages. Passé par l’école hôtelière à Abano Terme, près de Venise, mais aussi l'EHL de Lausanne, l’ancien étudiant de Cornell (États-Unis) a sillonné l’Europe pour parfaire son éducation hôtelière et surtout sa maîtrise des langues, essentielle à ses yeux dans ce milieu.
Son périple initiatique l’a ainsi conduit en Allemagne au Brenner’s Pak Hotel à Baden-Baden, puis en Angleterre au Lygon Arms, une institution vieille de 700 ans, située à Broadway dans le Worcestershire, avant de mettre le cap sur Londres et le Claridge. Et enfin, en France au Ritz à Paris et (déjà) à l’Hôtel de Paris à Monte-Carlo.
Fort de l’expérience acquise à travers ses voyages, l’Italien est remarqué par le groupe Rocco Forte qu’il intègre en 1992. Durant 17 ans, il y développera ses compétences et y gravira les échelons jusqu’à être nommé à la tête de l’Hotel Savoy, à Florence en 2000. Polyglotte affable, Ivan Artolli a su imposer son style tout en subtilité et en nuances, proche de son personnel et de ses clients, parvenant à insuffler une âme à chaun des établissements qu’il a fréquentés. Comme à l’Hôtel de Paris, qu’il dirige depuis 2016 et dont il a conduit la rénovation avec brio.
À quelques semaines de se rendre aux réunions annuelles de l’EMHA, du 10 au 12 février à Lisbonne, et des Master Innholders, l'équivalent britannique, les 23 et 24 janvier à Londres, le Monégasque d’adoption a accepté de partager avec le Journal des Palaces son regard avisé sur une industrie en pleine mutation et qui le passionne toujours autant, après quasiment quatre décennies.
Journal des Palaces : Que représente pour vous ce prix de Leading Legend 2022 reçu à la conférence annuelle des LHW s’étant tenue au Mexique cette année ? Vous attendiez-vous à recevoir pareille distinction ? Ivan Artolli : Ce prix a une très grande importance, car j’ai évolué au sein d’une collection d’hôtels Leading Hotels of the World (LHW), depuis que j’ai 16 ans. Sans trop le planifier, j’ai fait plus d’une dizaine d'hôtels Leading. Au départ, je me disais que devenir chef de service, ce serait magique, puis quand je le suis devenu, peut-être qu’en m’appliquant et en apprenant, je pourrais aller plus loin et devenir directeur d’un hôtel puis de plusieurs. Alors recevoir ce prix, c’est un très grand honneur auquel je ne m’attendais pas, car il y a des talents extraordinaires dans l’hôtellerie.
Le jury a loué votre passion pour la véritable hospitalité de luxe. Pour vous, le luxe, c’est quoi : une chose intemporelle ou alors une métamorphe épousant les codes de son temps ? Il y a un peu des deux. Le côté intemporel, c’est ce que j’appellerai la générosité d’âme. En hôtellerie, on utilise les mots hospitality et service. Le service, c’est ce que vous faites avec vos bras et vos mains. L’hospitality, c’est quand vous mettez votre âme, votre intelligence au service de la qualité de la prestation, de la personnalisation vis-à-vis du client et de la recherche de la perfection.
Ce qui épouse les codes de son temps, c’est la rapidité. Maintenant, les clients s’attendent à une réponse immédiate. La solution, elle, peut ne pas être immédiate, mais la réponse si. Pourquoi un client choisit un hôtel plutôt qu’un autre, même s’il coûte plus cher ? Il le fait, car il s’achète l’assurance « tout risque » que s’il demande une chose, d’une manière ou d’une autre, quelqu’un va s’occuper de son problème et le résoudre. La personnalisation, l’adaptabilité, le fait que l'on arrive à créer des expériences et des souvenirs inoubliables pour les clients, c’est lié au temps.
Le luxe, c’est aussi l’attention portée aux détails… Les Anglais disent : « Devil is in the detail ». Le Diable est dans le détail. C’est très difficile à enseigner. J’explique à mes collaborateurs qu’un client qui décide de passer un week-end ou quelques jours, il réfléchit à l’endroit où il veut aller. Notre réputation travaille pour nous. Le détail de notre comportement et de l’attention portée au client est primordial. Un client ne peut pas arriver et ne pas trouver sa chambre parfaite, nettoyée dans le moindre détail, avec des petites attentions à la hauteur du prix qu’il paye. Notre vision, c’est : « Du rêve à l’émotion ». Cela signifie que nous devons transformer le rêve de nos clients en émotion. Nous devons être acteurs de leur enchantement.
Ce prix est-il autant votre récompense que celle de vos équipes ? En recevant ce prix, j’ai remercié les équipes pour qui et avec qui j'avais travaillé. Vous êtes toujours serviteur d’une équipe même si vous en êtes à la tête. Vous servez ses objectifs et faites en sorte que chaque membre puisse donner le meilleur de lui-même. On l’a encore vu à la Coupe du monde de football. Quand le plus grand nombre de joueurs est prêt à se sacrifier pour l’intérêt commun, c’est là que l’équipe gagne. Je suis aussi bon que mes équipes. Je dépends entièrement d’elles.
Depuis six ans, vous avez participé à métamorphoser l’historique Hôtel de Paris. Quel rôle exactement avez-vous joué ? Quand j’étais chez Rocco Forte, il y avait un siège à Londres, mais en tant que Managing Director en Sicile, je prenais presque toutes les décisions là-bas, sauf la décoration, car la sœur de M. Rocco est décoratrice. Ici, même le souverain a participé à certaines décisions sur la rénovation de l’Hôtel de Paris, notamment la manière dont on a meublé les deux suites prestige Rainier III et Grace.
Ce qui est clair, c’est que nous sommes les créateurs de l’expérience du client et nous devons sublimer cet écrin de légende qu’est l’Hôtel de Paris. En arrivant ici, avec mon numéro 2, nous avons visité des hôtels en Europe pour voir ce que nous allions trouver. Nous avons étudié l'offre : les draps, les matelas, les coussins, les produits d’accueil, l’efficacité du minibar, du wifi, la facilité avec laquelle nous pouvions communiquer avec les équipes, la qualité et la rapidité du service. Nous avons mis ces éléments avec nos propres exigences pour concevoir l'expérience client de notre hôtel.
À votre arrivée, vous êtes-vous senti libre de faire ce que vous vouliez ou avez-vous dû composer avec des objectifs précis ? Il n’y a que les propriétaires qui sont libres de faire ce qu’ils veulent. À mon niveau, on n’est jamais libre, sauf de faire des propositions sur ce que l'on pense le plus adapté à l’établissement. Nous sommes toujours en train de composer dans le but d’améliorer l’expérience client. Par exemple, il y a une grande tendance à la digitalisation.
Aujourd’hui, un client peut faire son check-in avant d’arriver, avoir sa clé sur son téléphone et faire le check-out sans passer par la réception. Notre but n’est pas qu’il ne passe pas à la réception. Cependant, il faut donner la possibilité au client de choisir la manière dont il veut communiquer avec nous. Le digital nous aidera à adapter l’expérience à l’individu.
Ne craignez-vous pas de perdre le contact humain avec la digitalisation ? Non. Je viens d’une culture, chez Rocco Forte, où l'on ne voulait pas mettre de machine à café dans les chambres, car on pensait que les clients préféraient être servis. C’était il y a 20-25 ans. Maintenant, dans les plus beaux hôtels, on peut se faire son café et son thé. Il faut faciliter la vie aux gens.
J’ai vu un clip de Delta Airlines sur le voyage du futur et la compagnie aérienne prévient la cliente la veille concernant son heure de vol et l’état du trafic. Arrivée à l’aéroport, elle passe dans un tunnel, laisse son bagage et peut décider si elle veut le récupérer à l’arrivée ou à l’hôtel. Dans l’avion, elle peut communiquer avec tous les passagers et le système lui demande si elle veut quelque chose en arrivant sur place. Le système permet de constamment anticiper et d’aider le client dans son expérience et, dans le même temps, d’élargir ce qu’il y a à vendre au client : transport, nourriture, livraison…
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour moderniser cette institution ? La chose la plus difficile a été de prendre une équipe du passé pour la transférer vers le présent et l'avenir. D’habitude, les hôtels ferment pendant deux ans, ce qui leur permet de trouver des accords avec les syndicats et de repartir avec une équipe nouvelle. Ce que nous avons fait, c’est de faire en sorte que le changement puisse être anticipé, digéré et accepté. Cela prend du temps et nous y travaillons encore aujourd’hui.
Quels sont les prochains chantiers que vous souhaitez mener à l’Hôtel de Paris pour le maintenir à l’avant-garde du luxe ? Nous développons un nouveau concept de restauration dans le patio de l’hôtel. La cheffe du Coya, Victoria Vallenilla, qui est vénézuélienne, va créer un concept autour de la cuisine sud-américaine. On réfléchit aussi à un concept de bar avec petite restauration sur la terrasse de la salle Empire cet été et, pour la deuxième saison de suite, nous allons rouvrir notre restaurant libanais Em Sherif dans les jardins. Voilà les chantiers de l’été prochain.
Vous avez rénové les deux suites prestige nommées Rainier III et Grace. En quoi est-ce important pour vous de vous inscrire dans l’histoire de Monaco et de rendre hommage à ses souverains ? Nos deux suites font à peu près 1.000 m² entre intérieur et extérieur. La Suite Princesse Grace, inaugurée en 2018, est un duplex aux septième et huitième étages et s'ouvre côté mer et port. La suite Rainier III a été terminée fin 2018-début 2019 et donne au-dessus de la place du Casino avec la vue sur la France et l’Italie.
Quand nous nous sommes demandé quels noms utiliser pour ces suites, nous nous sommes rendu compte du lien qu’a l’hôtel avec la famille princière. Énormément d’évènements de la famille ont été fêtés à l’Hôtel de Paris, des anniversaires de la Princesse Grace, des anniversaires de mariage. On s’est dit que ces deux suites devaient être en l’honneur de ces moments magiques que le Prince Rainier et la Princesse Grace avaient vécu ici.
Comment avez-vous relié la décoration de l'hôtel avec la famille princière ? Dans les deux suites, se trouvent des œuvres qui viennent du palais, et c’est le souverain qui les a choisies. Dans la suite Rainier III, il y a des œuvres du Prince lui-même, qui travaillait le métal pour créer des animaux. Il y a aussi des choses qui rappellent son amour du cirque, des photos de lui avec le Prince Albert, avec la Princesse.
Dans la suite Princesse Grace, il y a des œuvres artistiques que la Princesse faisait avec des fleurs et des feuilles séchées. Nous aimons faire comprendre au client qu’il n'y a pas qu’un nom, mais aussi une âme dans ces suites. D’ailleurs, la famille princière vient y fêter des anniversaires. C’est devenu une tradition.
We are in that attention to detail. Si vous voulez que le client puisse vivre une expérience, il faut la créer avec la décoration. Le client a envie de s’immerger dans la culture locale. Quand il arrive dans une suite, il doit avoir l’impression d’emménager chez quelqu’un parce qu’il y a certains livres, des objets artistiques. C’est ça que les hôtels de luxe recherchent.
Chacun a aussi une culture locale et nous y travaillons. Un consultant de la direction du tourisme, nous a dit que nous n’utilisions pas assez la proximité avec l’Italie pour nous différencier de Cannes et Nice. Il faut trouver le lien, raconter une histoire. Si je vous confie une histoire, vous allez la raconter à votre tour et chaque client devient alors un ambassadeur.
Selon vous, quels sont les principaux défis et opportunités auxquels fait face le secteur de l'hôtellerie de luxe ? La difficulté à recruter est un défi et je pense que nous avons une vraie mission. L’hôtellerie et la restauration sont de vrais ascenseurs sociaux. Ce sont des métiers qui donnent énormément d’opportunités, mais sont durs et demandent des efforts. Je pense que nous devons nous donner du mal pour que les jeunes comprennent, qu’au-delà des heures que l'on consacre à ce métier, il y a beaucoup de fruits à cueillir, si l'on persévère.
À vos yeux, qu’est-ce que le luxe aujourd'hui ? C’est l’assurance d’une expérience. Le client paye un prix plus élevé, car il sait que quoi qu’il arrive, tout va bien se passer.
Que pensez-vous de l’évolution de l’hôtellerie de luxe et comment imaginez-vous le futur ? L’évolution est dans la technologie et la digitalisation. Les systèmes pouvant nous aider à reconnaître le client, à anticiper ses désidératas, c’est magique.
Après 35 ans dans l’hôtellerie de luxe, votre passion pour cet univers est-elle toujours intacte ? Ce métier donne l’opportunité d’apprendre. C'est important. J’adore les histoires de mes clients. Il n’y a pas un client régulier venant ici dont je ne connais pas l’histoire, comment il en est arrivé là, grâce à qui. Aujourd’hui, j’ai compris que la fortune d’un homme est toujours par faite par un autre homme.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaite évoluer dans le secteur de l’hôtellerie restauration de luxe ? Il faut que le jeune soit affamé, ait envie d’apprendre. C’est ça qui manque aujourd’hui. Vous devez avoir faim de succès.
Le fait de devoir constamment viser l’excellence est-il un moteur ou alors une contrainte ? C’est un moteur. L’excellence est comme une belle femme. Au moment, où vous êtes trop sûr de vous, c’est là que ça tourne mal. C’est une conquête quotidienne !
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