INTERVIEWS : INTERVIEW - RENÉ DELVINCOURT, PRÉSIDENT DE L'ABF : « NOUS MENONS UN GROS TRAVAIL DE MOTIVATION AUPRÈS DES JEUNES » (France)
Président de l’Association des Barmen de France, René Delvincourt détaille au Journal des Palaces le programme de l’ABF et les challenges qu’elle devra relever pour rebondir en 2022, après une année 2021 particulièrement terne pour la profession |
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INTERVIEWS : INTERVIEW - RENÉ DELVINCOURT, PRÉSIDENT DE L'ABF : « NOUS MENONS UN GROS TRAVAIL DE MOTIVATION AUPRÈS DES JEUNES » (France)
Président de l’Association des Barmen de France, René Delvincourt détaille au Journal des Palaces le programme de l’ABF et les challenges qu’elle devra relever pour rebondir en 2022, après une année 2021 particulièrement terne pour la profession |
Catégorie : Europe - France - Économie du secteur
- Interviews et portraits
- Associations et Syndicats - Interviews
Interview de Guillaume Chollier le 10-02-2022
A l’issue d’une année particulièrement éprouvante pour le secteur de l’hôtellerie-restauration, et à l’aube d’une année qui s’annonce pour le moins excitante, où cours de laquelle tous les espoirs sont permis, le Journal des Palaces a donné la parole aux diverses professions qui composent ce secteur.
Après les Clefs d'Or et le CDRE, cette semaine, nous donnons la parole à l’ABF : l’Association des Barmen de France. Créée en 1938, elle compte aujourd’hui plus de 1.000 membres.
René Delvincourt, son président depuis 2018, est investi à 100 % à la vie de l’association. Passé par les bars de l’Intercontinental Paris et du Plaza Athénée, il a également été le plus jeune chef barman de l’Hôtel de Crillon. Cet ancien juge international de concours de barmen a ensuite passé 25 ans au sein du groupe Disney, en occupant notamment les postes de coordinateur des 13 bars des parcs Disney ou de responsable beverage du groupe.
Après une année 2021 frustrante, René Delvincourt, dont le mandat s’étend jusqu’en 2024, entend bien profiter de 2022 pour relancer l’activité de l’ABF au travers de rendez-vous qu’elle était parvenue à pérenniser jusqu’alors, mais aussi, grâce à la formation, susciter à nouveau des vocations pour la profession de barman, mise à mal par la crise sanitaire. Enfin, 2022 devrait être l’occasion pour l’ABF d’accroître son rayonnement, tant au niveau national, qu’international, afin d’institutionnaliser l’association.
Le Journal des Palaces : Quel bilan tirez-vous de l’année 2021 ? René Delvincourt : C’est une année de crise que l’on a ressentie tant au niveau professionnel qu’au niveau associatif. Il a fallu jongler avec les confinements et les contraintes sanitaires pour organiser quelques manifestations. Ce n’est donc pas une année de partage. Nous avons de plus constaté beaucoup de défections au niveau de la profession, de l’ordre de 20 à 30 % sur certaines équipes.
Au niveau associatif, nous n’avons pu tenir que 3 rendez-vous : le concours du meilleur barman de France, mais avec une participation plus faible qu’à l’accoutumée, un afterwork et un lunch. Pour nous, cela représente un manque à gagner colossal.
S’agissant des concours académiques, nous sommes parvenus à organiser le MAF (Meilleur Apprenti de France), mais avons été contraints de repousser le MOF (Meilleur Ouvrier de France).
En raison de la situation sanitaire, l’ABF a perdu certains partenaires, victimes de chutes importantes de leur chiffre d’affaires.
En revanche, on a constaté sur cette période une nette progression de la solidarité au sein de la profession. De même, le programme national de formation lancé par l’ABF en 2020 a connu un beau succès, puisqu’il a accueilli, en plus des candidats « classiques », des candidats dont l’activité était à l’arrêt. Ce programme s’adresse aux barmen qui ont appris sur le tas et qui n’ont pas forcément eu de formation adéquate. Cette formation certifiante est dispensée en partenariat avec l’Institut Paul Bocuse.
L’été a-t-il été intense pour la profession ? En effet, l’été a fait l’objet d’une activité soutenue. Surtout, il y a eu une fausse rentrée, c’est-à-dire que septembre et octobre ont été de très bons mois. Bien meilleurs qu’à l’accoutumée pour cette période. Mais la nouvelle vague des restrictions liée au variant omicron a tout stoppé. La relance est depuis très compliquée et conduit certains barmen, parfois très expérimentés, à s’interroger sur l’utilité de leur poste ou leur compétence. Pourtant, les bars et restaurant recrutent. Je n’ai jamais vu autant d’annonces pour des postes à pourvoir.
Quels challenges la profession devra-t-elle relever en 2022 ? Nous souhaitons relancer les rendez-vous qui nous sont chers : le concours du meilleur barman de France, ainsi que nos championnats de France de cocktail et de flair. Nous souhaiterions, d’ici la fin du semestre, tenir un afterwork, un déjeuner, ainsi que les sélections départementales et régionales du MAF et les sélections du MOF.
Nous souhaiterions également trouver un équilibre entre vie professionnelle, vie personnelle et vie associative. Les gens désirent se relancer au niveau professionnel et s’investissent davantage. Ils sont donc moins disponibles pour la vie associative et le bénévolat. Il faut donc remotiver les équipes et les accompagner, car nous avons une obligation de résultat vis-à-vis de nos adhérents, mais aussi vis-à-vis de nos partenaires que nous avons engagés dans un programme d’animations et de rencontres.
Quels sont les enjeux en termes de formation ? On constate une défection, par exemple, à la mention complémentaire de bar au sein des divers instituts de formation, cette année en particulier. Cela se répercute sur le nombre d’inscrits au MAF. La profession de barman compte par ailleurs 37 inscriptions au concours MOF. Mais est-ce que, là aussi, il n’y aura pas des défections ? Pour ces raisons, nous menons un gros travail de motivation auprès jeunes. C’est pourquoi, nous effectuons des interventions dans les écoles pour leur parler du métier. On y présente des master class, on discute avec les élèves, on en parraine certains.
Les jeunes, qui arrivent dans le métier, sont-ils suffisamment armés ? Il y a deux types de populations parmi ceux qui nous rejoignent : ceux qui ont effectué un parcours académique, qui ont une culture de la restauration grâce à une formation cuisine et salle, puis une mention bar lors de leur troisième année, et ceux qui n’ont pas cette formation, qui viennent de divers horizons et qui n’ont aucune connaissance du métier et de ses contraintes. Nous devons accompagner cette seconde catégorie tout au long d’un parcours de formation. Ensuite, ils acquièrent de la qualification en participant à des concours, avant de franchir le pas sur des concours historiques de l’ABF. Sur ces concours, nous donnons des référentiels produits, sur les process de bar, sur les cocktails… Tout cela contribue à la professionnalisation de ces candidats.
La formation est un vrai sujet pour l’AFB, car ceux qui se présentent aux concours, qu’il s’agisse du MOF ou les concours de l’ABF, appartiennent à une élite. Cette formation permanente est donc très importante. C’est pour cela que nous avons noué un partenariat avec l’Institut Paul Bocuse, que nous avons lancé notre propre programme et que nos partenaires, via leurs ambassadeurs, contribuent à la formation de nos membres.
Comment recrutez-vous de nouveaux adhérents ? Ce qui est primordial, c’est d’être trouvé lorsque l’on nous cherche. Nous avons donc développé un site internet, des réseaux sociaux et une newsletter. La deuxième étape est de rendre l’ABF visible. Le travail effectué avec les écoles hôtelières et les enseignants permet de nous faire voir. Nous offrons également l’adhésion aux étudiants pour créer une émulation autour de l’association. Nous allons signer un partenariat avec le GNI et l’UMIH afin qu’ils communiquent au nom de l’ABF auprès de leurs membres. Pour accroître notre notoriété et institutionaliser l’ABF, on essaie aussi d’avoir des retombées média par rapport à nos concours. Dans un second temps, l’objectif est d’inciter ceux qui nous ont trouvés à aller plus loin à nos côtés.
Quel est le message que vous souhaiteriez passer aux hôteliers et propriétaires de bars sur la thématique de l’emploi ? Les syndicats ont déjà œuvré en ce sens. Ce qui en ressort, ce sont des augmentations substantielles de salaires et la nécessité de retravailler sur le temps de travail et en particulier de mettre un terme à la coupure. Les syndicats ont notre soutien sur ce sujet de la coupure puisqu’elle entraîne des journées de 15 heures pour le salarié. Nous sommes également favorables à l’indemnisation du temps de travail dominical. Nous poussons aussi pour donner au salarié de la qualité de vie au travail : trop d’employeurs ne respectent pas leurs employés. Certains manquent vraiment d’accompagnement au sein de l’entreprise : sous-effectif, absence de formation, etc… Il faut valoriser la fonction de barman. Lorsque l’outil est beau, il sera plus aisé pour le barman de se sublimer et de s’exprimer.
Que diriez-vous à un jeune afin de le convaincre de passer derrière un bar ? Qu’y a-t-il de plus beau que de se mettre à la portée d’un client et de réaliser la boisson qu’il souhaite, afin de lui faire vivre une expérience, tout en exposant sa créativité ? C’est un métier qui permet d'évoluer dans plusieurs environnements : bar de jour et de nuit, bar de palace, établissement permettant de faire du volume… Chacune d’entre elles possède sa propre clientèle dont les exigences diffèrent.
Pour ceux qui aiment voyager, le métier de barman présente un atout indéniable : ce métier s’exerce partout. Cela permet d’apprendre des techniques différentes selon les pays, de découvrir des produits différents, de travailler dans des atmosphères différentes. Faire des cocktails sur la plage à Saint-Domingue, ce doit être une expérience unique !
Quelle est la cote des barman français ? Nous constatons, au travers de nos déplacements dans le cadre de nos relations avec l’IBA (International Barmen Association), que le Frenchy est très bien vu. Sur la scène internationale du cocktail, on a eu notre place, mais aujourd’hui, les Anglais occupent le devant de la scène, avec les barmen issus des pays de l’Est.
Nous possédons malgré tout des stars internationales, comme Matthias Giroud, qui a ouvert 33 bars dans 32 pays du monde pour le groupe Buddha Bar.
Nous avons aussi une nouvelle carte à jouer sur le sans alcool. Nous avons des MOF et des barmen comme Matthias Giroud, Alexis Taoufiq, qui est au Canada ou Stéphane Ginouvès, qui œuvre au Fouquet’s, sur les Champs-Elysées, qui sont incollables sur le sujet. La French Touch est toujours bien présente dans l’univers du bar !
Quelle est la définition d’un bon barman ? Bien avant la technique, il faut que le barman sache regarder, écouter et comprendre les attentes que le client a placées en lui. Il doit aussi avoir la capacité à s’adapter à son point de vente. Un bon barman se distingue aussi par sa capacité à créer un bon cocktail, qui répond aux attentes du client, avec les ingrédients qui sont à sa disposition. Entrent ensuite en compte ce que l’on pourrait qualifier d’artifice : sa créativité, sa folie. Tous ces ingrédients constituent une expérience pour le client. Le bon barman se remet constamment en question, car chaque client est différent et n’a pas les mêmes attentes.
Au niveau humain, il doit avoir une solide culture générale pour pouvoir tenir divers types de conversations avec le client, savoir se mettre en retrait, rester à sa place et cultiver la discrétion. Et enfin, il doit avoir le respect du client en toutes circonstances.
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