DIMITRI RUIZ : « LE RÔLE DU CONCIERGE D'HÔTEL EST D'APPORTER DU PLAISIR AU CLIENT, DE SUSCITER DES ÉMOTIONS » (France)
Pour le Journal des Palaces, le président de l’Union Nationale des Concierges d’Hôtel dresse le bilan de 2021 et place 2022 sous le signe de la formation, du recrutement et de l’accompagnement des jeunes |
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DIMITRI RUIZ : « LE RÔLE DU CONCIERGE D'HÔTEL EST D'APPORTER DU PLAISIR AU CLIENT, DE SUSCITER DES ÉMOTIONS » (France)
Pour le Journal des Palaces, le président de l’Union Nationale des Concierges d’Hôtel dresse le bilan de 2021 et place 2022 sous le signe de la formation, du recrutement et de l’accompagnement des jeunes |
Catégorie : Europe - France - Interviews et portraits
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Interview de Guillaume Chollier le 21-01-2022
À l’issue d’une année particulièrement éprouvante pour le secteur de l’hôtellerie-restauration, et à l’aube d’une année qui s’annonce particulièrement excitante, où cours de laquelle tous les espoirs sont permis, le Journal des Palaces a donné la parole aux diverses professions qui composent ce secteur.
Cette semaine, les concierges sont à l’honneur. L’Union nationale des concierges d’hôtel, plus connue sous l’appellation Clefs d’or, compte 400 membres en France et plus de 3.000 à travers le monde. Créée en France en 1929, cette association est présidée par Dimitri Ruiz.
L’ancien concierge du Mandarin Oriental, à Paris, désormais à la tête de la loge de l’Auberge du Jeu de Paume, un Relais&Châteaux situé à Chantilly (Oise), achève son mandat de trois ans à la tête de l’association en mars prochain. Celui qui, lors de la crise, a œuvré pour se rapprocher de l’ensemble des associations du secteur et faire front commun face à cette situation inédite, fait le bilan de l’année 2021 et se projette sur 2022. Et met en exergue l’importance de la formation, du recrutement et l’accompagnement des recrues au poste de concierge.
Le Journal des Palaces : Comment s’est achevée l’année 2021 ?
L’année 2021 a été assez exceptionnelle. Personne n’avait anticipé une activité aussi forte au moment des réouvertures, à partir du mois de mai. Nous avons vécu sept mois intenses, avec une activité très soutenue, que nous n’avions pas anticipée. En raison de la fermeture des frontières, on a essentiellement fonctionné avec un marché local.
L’activité s’est intensifiée à partir de juin. Les concierges d’hôtel ont dû se remettre au travail très rapidement et sont revenus parmi les premiers dans les établissements qui étaient fermés. La demande était très forte : les établissements recevaient énormément de mails de clients ou d’agences de voyage afin de préparer des séjours. Les concierges, au-delà de la partie opérationnelle, se sont informés, ont visité et découvert de nouveaux lieux pour pouvoir mieux les recommander par la suite. Ils ont aussi développé leur réseau de contacts, ce qui est primordial dans ce milieu. Nos clients avaient besoin de se faire plaisir et de découvrir de nouveaux lieux, au sortir d’une période singulière.
Comment envisagez-vous 2022 pour votre profession ?
Je suis plus optimiste qu’en 2021, car les réservations dans les hôtels sont en croissance et nous sommes prêts, dans notre organisation, notamment concernant l’application des divers protocoles sanitaires. Tant les ressources humaines que les services de conciergerie des hôtels ont pu préparer en amont leur recrutement. Les établissements situés sur Paris ou le littoral ont davantage pu avancer sur cette problématique que les établissements qui se trouvent en montagne, par exemple. Cette anticipation est d’autant plus précieuse que la saison pourrait démarrer plus tôt que d’ordinaire, probablement en mars-avril, et se prolongerait jusqu’en septembre, même si nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle vague. Nous devons donc être prêts à pouvoir modifier notre planning, plusieurs fois dans la même journée si nécessaire.
Nous sommes également confiants car les établissements qui proposent les services d’un concierge sont des établissements haut de gamme et de luxe, qui s’adressent essentiellement à une clientèle à l’aise financièrement. Or, nous avons constaté que dès que les restrictions de déplacements ont été levées, c’est cette clientèle qui a, le premier, recommencé à voyager.
Comment cette profession évolue-t-elle selon vous ?
Ces derniers mois, plus que jamais, il a fallu être à l’écoute et s’adapter aux nouveaux modes de consommation. On constate qu’en ce moment, les gens sont davantage en quête de lien social, de découvrir le savoir-faire, plutôt que d’être dans un marché de consommation. Pour la profession, c’est très positif puisque notre clientèle est en attente. Elle est donc beaucoup plus ouverte sur ce que l’on peut lui proposer. On revient sur le modèle que l’on a connu dans les années 70 ou 80, où la loge devient un comptoir indispensable avant, pendant et même après le séjour, car on garde un lien. On s’est adapté en conséquence avec des réseaux du type WhatsApp ou tchat. La seule présence à la loge ne suffit plus, ce qui nécessite parfois un personnel plus étoffé, car ces demandes immédiates exigent des réponses immédiates qui nécessitent de solliciter plus de personnel. Dans un premier temps, ce mode de consommation est inconfortable, mais il crée un lien qui n’existait pas ou plus.
Quels vous semblent être les enjeux concernant le métier de concierge ?
Même si notre profession a été parfaitement protégée par des aides de l’État ou la prise en charge totale du chômage partiel lors de la crise sanitaire, cette dernière a provoqué une prise de conscience chez certains d’entre nous. Et s’il n’y a pas eu de licenciement dans le secteur, certains ont pris la décision de changer de vie et d’entamer une nouvelle carrière professionnelle, pour avoir un meilleur équilibre familial ou pour pouvoir profiter des week-ends. Par conséquent, certaines loges souffrent de manque d’effectif. Il est donc urgent de susciter des vocations.
Que préconisez-vous ?
Pour pallier ces manques d’effectifs, la formation est primordiale. En partenariat avec l’Éducation nationale et le lycée hôtelier de Toulouse, nous formons des jeunes qui aspirent à devenir concierges. Mais cela passe aussi par des formations de jeunes qu’il va falloir intégrer dans le secteur pour leur donner goût au métier.
Les jeunes qui désirent embrasser cette carrière vous semblent-ils suffisamment armés et accompagnés ?
On les accompagne durant leurs périodes de stages afin de les former. Sur 2020 et 2021, cela a été plus difficile, car les étudiants n’ont pas suivi de cours en présentiel, mais en visioconférence. Or l’échange humain est indispensable dans notre profession afin de faire passer des émotions. L’idée reste de faire une formation d’excellence. Selon moi, plus y a d’alternances en entreprise, plus il y aura la possibilité de mieux accompagner ces étudiants. D’autant que nous sommes actuellement dans une période où les hôtels ont des besoins immédiats.
Quelles solutions pourraient concrètement être mises en place pour faciliter le recrutement selon vous ?
Comme tous les métiers de l’hôtellerie restauration, nous pouvons avoir des profils intéressants, mais qui ont des prétentions salariales plus hautes que celles que leur proposent les recruteurs. Des négociations sont pour le moment en cours à ce sujet pour réévaluer les salaires des différentes professions du secteur. Il y a aussi des attentes de salariés qui cherchent à retrouver un cadre familial et personnel et qui recherchent des horaires aménagés ou aménageables. Ainsi, lorsque l’on trouve le profil idéal, qui correspond à nos attentes, il faut aller très vite, sinon il peut se faire recruter par un autre établissement.
Et que proposez-vous concrètement pour inciter les jeunes à opter pour une carrière de concierge ?
Il faut donner envie aux recrues d’œuvrer dans une entreprise en créant des opérations en interne pour valoriser les équipes. Autrefois, on organisait des repas lorsqu’une personne intégrait le staff d’un hôtel afin de lui présenter les divers services et leurs responsables. Peut-être qu’il ne faudrait pas se contenter de l’organiser à l’arrivée d’un nouvel employé, mais le faire régulièrement pour transmettre et partager la culture de l’entreprise, ses valeurs et partager la passion de ces métiers. Quand on parle de ressources humaines, il faudrait que le terme « humain » dépasse le simple cadre de l’administration et le caractère administratif d’un contrat de travail pour mettre en avant la culture de l’entreprise. Le but est de donner à ces recrues l’envie d’y rester et de s’y inscrire dans la durée.
Il faut aussi mettre en avant la notion de plaisir auprès de ces jeunes. Notre rôle est d’apporter du plaisir au client, de susciter des émotions. On recommande un restaurant, une activité ou une adresse comme on le ferait pour notre propre plaisir. Nous avons du coup une relation privilégiée avec notre clientèle. C’est un métier qui requiert beaucoup de connaissances, du temps et un bon réseau. Mais c’est aussi un métier qui procure beaucoup de plaisir car on touche à beaucoup de savoir-faire et on en profite, d’une certaine façon, afin de mieux le recommander ensuite : comment recommander une bonne table sans avoir goûté ses mets ? Comment conseiller une exposition sans l’avoir visitée ? Ces moments privilégiés font aussi partie de notre profession.
Quels sont selon vous les qualités et les caractéristiques d’une bon concierge ?
Il faut beaucoup de bienveillance, comme dans tous les métiers de service. Il faut avoir envie de faire plaisir aux autres. Il faut être curieux : s’intéresser au client et à ce qu’il aime, mais aussi s’intéresser au monde extérieur pour pouvoir répondre à sa demande, voire davantage. Cette curiosité permet en outre d’accumuler énormément de connaissances. Il faut aussi faire preuve de psychologie. Plus on se met à la place du client, mieux on peut lui recommander des choses susceptibles de le satisfaire. Il faut également de la rigueur puisque les concierges évoluent dans un monde d’excellence et de luxe, où l’importance accordée au détail est essentielle.
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