Les Chefs étoilés engagés pour la Planète : Alain Passard, Chef de l'Arpège (France)
Le Chef Alain Passard est un esthète en perpétuel mouvement. |
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Les Chefs étoilés engagés pour la Planète : Alain Passard, Chef de l'Arpège (France)
Le Chef Alain Passard est un esthète en perpétuel mouvement. |
Catégorie : Europe - France - Interviews et portraits
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Interview de Rachel Chantal, publié le 28-09-2018
Voyageur au fil des couleurs, des parfums, des saveurs, des textures et de la subtile musicalité des instants faisant naître l’émotion, sa quête vraie est celle de l’équilibre parfait entre les cinq sens dont il signe avec brio ses sublimes créations. Cet artiste pluridisciplinaire au cœur rempli de gourmandise est l’un des plus singuliers personnages de la gastronomie française. Après avoir obtenu 19/20 au Gault et Millau et trois étoiles au Guide Michelin avec son restaurant l’Arpège, à l’époque où ce dernier était une rôtisserie d’exception, il décide en 2001 de complètement se réinventer.
Visionnaire sensible et avant-gardiste, il fût en effet le premier chef étoilé à décider de cuisiner les légumes avec panache, offrant à ceux qui furent longtemps réservés à la garniture, un statut plus noble, celui de plat principal. Dans les mains du maestro qui aurait tant aimé devenir couturier comme sa mère, le végétal devenait finement sculpté, déposé telle une étoffe précieuse sur la toile de porcelaine des assiettes du célèbre restaurant, dans une mise en scène texturée exultant de saveurs lumineuses et délicates.
Alain Passard se souvient avec clarté du questionnement ayant précédé le basculement qu’il décida dans sa vie : « J’étais allé au bout de ma créativité avec la cuisine animale, je ressentais comme un appel cette évidente nécessité d’aller plus loin, d’imaginer l’écriture d’une nouvelle page de ma cuisine, plus en adéquation avec l’évolution des sensibilités d’un siècle nouveau, mais aussi de la mienne. D’une certaine manière, mon jardin m’a sauvé ». Prenant un risque considérable, il déclara du jour au lendemain qu’une cuisine légumière serait désormais privilégiée à l’Arpège, dans laquelle il mettrait au service du légume tout son savoir-faire de la cuisine animale. Il aime encore aujourd’hui en rappeler le principe : « Le rôtisseur que j’étais est toujours là, mais il célèbre désormais le légume. D’ailleurs mon burger végétarien est un pur délice !» De cet anoblissement du légume, les clients curieux et les critiques à la conscience aiguisée lui devinrent à jamais reconnaissants : non seulement conserva-t-il ses trois étoiles à l’Arpège, mais il devint aussi aux yeux du monde Le Chef qui osa bousculer la planète de la gastronomie, pour le plus grand bonheur de la planète tout court.
Les légumes aiment être choisis par le Chef Alain Passard qui les cultive avec passion dans ses jardins ouverts aux visiteurs, en évoquant poétiquement toutes leurs merveilles : « Je m’appuie sur ce que la nature a écrit, chaque saison redevenant un rendez-vous, l’asperge en avril, la tomate en juillet. Dans son grand livre de cuisine, la nature parfaite a fait en sorte que chaque légume ait une mission : l’été, celle d’un melon est de nous désaltérer, alors que l’hiver, c’est au céleri rave qu’il revient de nous réchauffer. Dans la continuité de son Chef, le restaurant l’Arpège se veut exemplaire en matière d’éco-responsabilité : vigilance sur la consommation de l’eau, de l’électricité, des emballages, recyclage de toutes les épluchures qui retournent dans les jardins, création de points d’eau, de talus, haies, perchoirs, rotation des cultures et jachères : « On redonne à la Terre ce qu’elle nous a donnée, on ne peut pas avoir un bon légume si la terre est fatiguée ».
Avec tristesse, il évoque les dérives coupables de notre époque où le hors-sol, le hors-saison et les traitements chimiques appuyés dominent, rajoutant que les cultures et donc la cuisine influencent forcément l’équilibre des espèces animales. « Il y a urgence, car on a abimé ce chef d’œuvre absolu qu’est la Nature. Malgré tout, avec l’optimisme de ceux qui agissent, il conserve sa confiance en l’avenir : « Heureusement, les choses bougent, les consommateurs veulent retrouver une cuisine saine, issue d’une terre et d’animaux respectés, ils désirent éduquer leurs enfants aux joies des saisons, retrouver le rythme d’une année vivante où l’on attend les fraises et les apprécie car on sait que leur saison sera de courte durée. La nouvelle génération agit en ce sens, elle sait l’importance des enjeux de ce siècle ».
Véritable sentinelle de la gastronomie, le Chef Alain Passard nous rappelle avec pertinence que si « la nature a créé les saisons, c’est pour nous éviter la routine ». Rajoutons que c’est aussi pour le plus grand bonheur de ceux qui goûtent aux trésors de sa table, mais peut-être plus encore pour celui d’une Terre qui lui sait gré de son si bel engagement au réveil nécessaire de nos consciences.
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