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PORTRAIT - PHILIPPE LEBOEUF, DIRECTEUR GÉNÉRAL, RAFFLES AT THE OWO : « LE ON-BOARDING DE MES ÉQUIPES A ÉTÉ LE PLUS BEAU MOMENT » (Royaume-Uni)

Avec 40 ans de carrière a son actif, Philippe Leboeuf est un grand Monsieur de l'hôtellerie qui a gardé toute sa fraîcheur et son franc-parler.

PORTRAIT - PHILIPPE LEBOEUF, DIRECTEUR GÉNÉRAL, RAFFLES AT THE OWO : « LE ON-BOARDING DE MES ÉQUIPES A ÉTÉ LE PLUS BEAU MOMENT » (Royaume-Uni)

Avec 40 ans de carrière a son actif, Philippe Leboeuf est un grand Monsieur de l'hôtellerie qui a gardé toute sa fraîcheur et son franc-parler.

Catégorie : Europe - Royaume-Uni - Interviews et portraits - Interviews - Les Leaders du secteur
Interview de Sonia Taourghi le 26-04-2024


« Good afternoon Miss Taourghi ». Je n'avais pas encore franchi les portes de l'hôtel que j'étais déjà éblouie par cet accueil personnalisé du portier. Il avait vu juste. C'était bien moi.

Un accueil, un sourire et une aisance que l'on retrouve dans toute l'équipe du Raffles at The OWO à Londres, et que j'allais retrouver également chez Philippe Leboeuf, Directeur Général de l'hôtel, et James Bond incognito des lieux. Cela fait 40 ans que Philippe Leboeuf mène une carrière sur tous les fronts de l'hôtellerie. Entre opérations, corporate et management, il connait tous les ressorts du métier et n'a jamais eu peur de retrousser ses manches. Directeur Général à New York, puis à Paris pour le Crillon, Concorde et le Louvre, il passera ensuite plus de sept ans au siège de Leading Hotels of the World. Après un court passage chez Rosewood, il dirigera le mythique Claridge's, avant de passer 11 ans chez Mandarin Oriental entre les opérations et le management.

Depuis presque trois ans maintenant, il est à la tête du Raffles at The OWO. L'établissement de sept étages visibles est constitué du bâtiment du Old War Office. La rénovation conséquente a ajouté plus de 48 000 mètres carrés de surfaces, un espace de résidences privées et l'aménagement de six étages en sous-sols abritant deux spas, un garage et une gigantesque salle de conférence et réception. Ce sont d'ailleurs ces résidences qui ont permis à l'équipe de "s'échauffer" en testant les équipements et les systèmes électroniques, s'assurant ainsi de la fluidité des infrastructures pour l'ouverture de la partie hôtelière. Sept ans et demi de rénovation, une ouverture très médiatisée, et une forte concurrence, font de la mission de Philippe Leboeuf un défi à la hauteur de son mètre 95. Plus que les portes d'un lieu unique, Philippe Leboeuf ouvre au Journal des Palaces son cœur d'hôtelier fidèle aux valeurs du travail et avec une humanité qu'il partage avec ses équipes et ses clients.

Être au plus près des équipes

Dès le début de sa carrière, Philippe Leboeuf a eu un parcours atypique. « Je ne pense pas que je serais aussi pertinent si je n'avais pas eu un passage par le Corporate. C'est une autre langue : les opérationnels sont dans l'action, et pas sur des plans à trois ans. Comme c'est quelque chose que je comprends mieux, je suis moins agressif ».

L'autre aspect de sa carrière qui l'a défini, est son passage chez Lord Rocco Forte à New York où il se retrouve à endosser plusieurs rôles, apprenant et intégrant ainsi les métiers clés d'un hôtel. « Lorsque Forte ouvrait une position, ils acceptaient des candidats qui n'avaient pas forcément le profil type pour le poste. C'est comme ça que je me suis retrouvé gouvernant général. Cela a été l'aubaine de ma carrière, et aujourd'hui, je fais toujours des inspections de chambres, notamment avec mes nouvelles recrues de service. C'est important de comprendre les métiers et les collaborateurs ». Tour à tour responsable technique, puis responsable commercial, il maintient surtout une attitude humble qui lui a valu le respect des équipes. « Malgré mon mètre 95, je n'étais peut-être pas si snob » !

Alors que je lui demande les moments les plus marquants de l'hôtel depuis l'ouverture, il répond sans hésitation. « L'onboarding du personnel a été un très beau moment pour moi. J'essaye de rester jeune malgré mon expérience. Même s'il y a eu la cérémonie officielle avec la Princesse Anne, je voulais que tout le personnel puisse couper le ruban. Nous étions plus de 300 à couper un ruban imprimé de nos valeurs, et chaque collaborateur a coupé une valeur, incluant les propriétaires. Il a fallu trouver 400 paires de ciseaux » !

Bien sûr, le grand enfant s'émerveille tout de même de ces moments hors du commun qui font son quotidien, comme le lancement d'une Formule 1 grâce aux deux ascenseurs qui permettent de déplacer des voitures. Cela a été un moment spectaculaire pour l'hôtelier, malgré la fuite d'huile inévitable sur la moquette neuve…

Une forte histoire à respecter et célébrer

Avec toutes les récentes ouvertures d'établissements de luxe sur Londres, la concurrence est féroce, et presque dix mois après son ouverture, l'établissement se porte bien. « Nous avons une belle fréquentation, avons reçu de nombreux prix et nous avons fait la couverture de Tatler ». Autant de reconnaissances qui s'expliquent par la beauté d'un lieu atypique chargé de souvenirs. « Nous sommes un peu différents par notre histoire, et entourés de Westminster, Big Ben, Trafalgar Square ou St-James Park. Mais nous sommes conscients que notre location est moins prisée que Mayfair ou Knightsbridge, et c'est aussi une des raisons pour laquelle nous avons déployé l'offre gastronomique autour de neuf points de restauration ».
Un héritage que les équipes s'attachent à célébrer au mieux et dont Philippe Leboeuf se veut le personnellement garant et ambassadeur.

« Nous avons dix visites du bâtiment à réaliser tous les ans gratuitement inclus dans la licence d'exploitation. Nous avons déjà atteint ce quota pour cette année, avec majoritairement des Londoniens curieux âgés de 40 à 85 ans, dont 20 % qui ont travaillé dans les lieux et ont voulu découvrir de que nous en avions fait. N'oublions pas qu'il s'agissait avant du Ministère de la Défense, et que par conséquent, c'était un bâtiment officiel, très sécurisé et non accessible à la population générale. C'est donc impératif de l'ouvrir aux locaux. D'ailleurs, même les clients internationaux se réjouissent de pouvoir les côtoyer. En regardant la proportion d'Anglais qui séjournent à l'hôtel, ou celle des acheteurs de nos résidences, je me dis que nous avons réussi une grande partie de la mission que Sébastien Bazin et la famille Hinduja se sont donnée ». En effet, au moment de l'ouverture, le PDG d'Accor évoquait déjà ce pont entre différents types de clients comme une évidence et invitait « chaleureusement les Londoniens et les visiteurs étrangers à profiter de cet hôtel extraordinaire, allié à l'authenticité et l'élégance de Raffles, l'une de nos marques les plus prestigieuses, dans l'une des plus belles villes du monde ».

Les visites proposées feront donc bien partie intégrante du succès grandissant de l'établissement, grâce à deux historiens dédiés, l'un pour la visite historique et l'autre pour la visite dédiée à l'art. À terme, il est prévu d'avoir quatre à cinq spécialistes pour conduire ces tours, et également ajouter d'autres éléments liés à l'histoire du OWO pour proposer des moments encore plus premium à la clientèle. « Nous offrirons une balade en calèche royale sur le Mall et dans Hyde Park, précise Philippe Leboeuf. Il s'agit là de véritable expériences exclusives, qu'aucun autre établissement ou organisme ne peut offrir à ses invités. Il en va de même pour les bureaux des anciens espions que nous avons reconvertis en bar - 007 et 008 - et qui ne sont accessibles qu'à nos invités ». Au cours de la conversation, il est question de tunnels secrets, qui pourraient ne pas le rester… Affaire à suivre. Avec une telle expérience en l'hôtellerie, le vétéran pèse ses mots et les utilisent avec justesse. « J'aime les langues, et je trouve que les mots luxe, expérience, exclusivité sont souvent galvaudés. Tout le concept de l'hôtel a été fait pour respecter l'histoire du bâtiment et son unicité. La seule vraie addition a été l'Art. Car il s'agissait au départ d'un univers très masculin, et c'est donc une façon d'équilibrer l'énergie des lieux ».

De plus, Philippe Leboeuf est un directeur d'hôtel investi et qui bouillonne d'idées pour faire rayonner son établissement. Parmi ses nombreux projets, un tour gastronomique pour faire découvrir les neuf restaurants déjà ouverts, avant l'ajout de la Langosteria d'ici juillet, et le dernier-né, Kioku by Endo, de Endo Kobayashi, qui ouvrira d'ici à la fin de l'année. Entre cuisine française, italienne, anglaise, le bar à saké et sa plus large collection d'Europe, l'établissement veut rivaliser avec les quartiers gastronomiques de Londres et faire suite aux "Safaris Culinaires" organisés à l'ouverture, notamment pour les journalistes.

Un équilibre personnel pour garder pied

Avec autant de projets à venir, un quotidien 24/7, comment le directeur maintient-il son engouement pour l'industrie et l'énergie nécessaire pour mener à bien sa mission au sein de l'hôtel, mais également dans la gestion des 85 résidences privées ? « La dimension résidentielle est très importante. Au niveau du management, c'est différent, parce qu'on change d'ambiance, elle est plus décontractée, le personnel se permet d'appeler les résidents par leur prénom. Heureusement pour moi, je vis dans la résidence et cela est très pratique compte tenu de l'ampleur de la tâche. Cela me permet d'être là à tout moment. C'est vrai que cela est imposant, mais c'est plus facile ici, car je suis du côté "Résidence" et donc bénéficie d'une belle intimité. Nous avons dix entrées et sorties dans le bâtiment ! Ce qui est très pratique pour moi, mais aussi pour nos invités les plus privés, comme des célébrités ou des membres de la diplomatie ».

Il tient également à saluer ses équipes sans qui rien ne serait possible. « Je dis toujours que les accolades sont pour mes équipes. C'est commode de parler d'humilité, mais vraiment le travail, c'est toute l'équipe qui le fait. J'ai notamment un super adjoint que j'ai recruté du Raffles Singapour. Je suis un peu comme un chef d'orchestre ». Et tel un chef d'orchestre, il aspire à maintenir l'harmonie de son établissement avec des collaborateurs appliqués et qui font chacun leur part. Comme il le dit, « après avoir été un Directeur très front house, puis très Finance, j'espère aujourd'hui être un directeur "très" Ressource Humaines ».

Son autre adjoint essentiel, est son fidèle compagnon de 15 ans, Archie, Vice-Président des Chiens, et qui est devenu une figure de l'établissement presque au même titre que son maître. Philippe Leboeuf en profite pour me rappeler un reportage sur le Claridge's qui avait changé d'angle pour devenir "La vie d'Archie au Claridge's". Il semble évident que le canidé possède un charisme indéniable qui fait toujours son effet.

Entre ses balades à vélo et détente, Philippe Leboeuf est aussi un philanthrope. Discret, mais très engagé, il a d'ailleurs à cœur de discuter de cet intérêt qui nous anime mutuellement, et de partager la mission de "À Chacun son Everest" : une association qui œuvre pour les enfants touchés par le cancer et les femmes touchées par le cancer du sein, et dont il est devenu le président il y a dix ans. « Quand je les retrouve à Chamonix, cela me calme et je relativise. Au départ, j'étais volontaire et maintenant, je peux les soutenir différemment. Cela me fait aussi beaucoup de bien par rapport à certaines demandes ou exigences auxquelles nous sommes confrontés tous les jours dans notre métier ».

Se démarquer par un recrutement inclusif

Comme il le mentionne à plusieurs reprises, Philippe Leboeuf est très fier de ses équipes. C'est d'ailleurs une stratégie toute personnelle qu'il a appliqué. Entre journées de recrutement au Guards Museum - le ton était donné - et une campagne de communication basée sur les réseaux sociaux et les écoles de commerce et design, il s'agissait bien de s'éloigner des canaux habituels. « Nous avons recruté non pas sur les codes "Palace", mais sur l'attitude plus que l'aptitude. Pour moi cela passe par le sourire, le regard. Je peux vous apprendre à faire un entretien avec une journaliste, mais sans la bonne attitude, je vais suivre un script et ça ne sera pas un bon échange ».

Suite au COVID, l'hôtel ouvre donc ses rangs pour tous les candidats sur le marché qui avaient besoin de trouver ou retrouver une direction. Cette diversité est célébrée et l'équipe au complet ne pourrait en être plus heureuse. « Aujourd'hui, ajoute le directeur, on voit le retour de ce succès par la satisfaction des clients et celle du personnel. Il faut donc continuer à faire bouger les choses, en espérant que plus d'hôtels suivent aussi cette voie de la diversité dans leur recrutement. Cela fait aussi partie de nos engagements sociaux, que ce soit au niveau recrutement, mais aussi managérial. Par exemple, nous avons même un peu de télétravail. Nous n'avons pas de procédure, car cela serait difficilement gérable, mais nous sommes beaucoup plus cool avec cela ».

De manière générale, il se réjouit des changements observés dans l'industrie avec des profils beaucoup plus divers, au niveau des collaborateurs ou de la clientèle. À cela se sont ajoutées une adaptabilité et une approche plus flexible et malléable dans la façon de servir et satisfaire le client. Qu'on ne lui parle pas de limousine. Un symbole du luxe du passé.

Laisser une empreinte pour les futures générations

Philippe Leboeuf veut partager son engagement social avec son équipe sans forcer les choses. Entre initiatives personnelles et impulsions corporate, il est important pour l'hôtel d'aider les communautés locales, avec un personnel très impliqué et qui donc participe naturellement aux actions proposées.

De son côté, il souhaite personnellement soutenir les futures générations d'hôteliers en partageant son savoir grâce au Raffles College Of Hospitality. Un projet qui allume une lumière vive dans son regard.

« J'ai beaucoup galéré, donc je veux donner une boite à outils aux gens qui aspirent à grandir. Prenez l'exemple d'un commis de salle, qui devient chef de partie et ensuite devient assistant manager. Comment il apprend à faire les fiches horaires ? J'ai pour ma part appris sur le tas, mais c'est difficile. Pareil pour un budget. C'est laborieux et vous ne savez pas comment vous y prendre. Il faut expliquer comment on fait un budget, à quoi cela renvoie, et comment être agile. Avec le COVID par exemple, vous avez beaucoup d'entreprises qui ont maintenu des salaires à 100 % et qui aujourd'hui y gagnent parce qu'elles ont pu garder leurs équipes. Je suis beaucoup dans l'instinctif, mais il y a des choses concrètes à apprendre ».

Ce projet donne suite à la formation de "L'Art du Butler", lancé par Raffles, et qui a beaucoup changé avec le temps. « L'idée du College Of Hospitality serait d'ouvrir une opportunité similaire à plus de métiers. Pour l'instant, c'est une université interne, mais peut-être à terme l'ouvrir au grand public. Car notre métier est dur, mais c'est l'un des plus beaux métiers du monde ».
Au départ de son idée, Philippe Leboeuf souhaitait articuler la formation autour de trois ou quatre métiers clés, mais il attend les résultats d'une enquête interne pour proposer des programmes qui correspondent le mieux aux attentes. Toujours à l'écoute de ses équipes, il adaptera en fonction. Assisté de deux collaboratrices spécialisées, dont Holly-Anna Blackley, Directrice Talent et Culture de l'hôtel, il est également ouvert à des modules de management. Même s'il concède que « Glion et Lausanne le font déjà très bien » !

On le comprend vite, le but ultime de cette formation est de donner la chance à chacun d'apprendre et d'étendre son savoir. Celui à qui l'industrie a donné sa chance, veut rendre la pareille et rééquilibrer les inégalités qu'il estime encore trop nombreuses dans l'industrie. « Il y a un moment où il faut reconnaitre le travail et le mérite au-delà des heures fournis, qui peuvent être dépendantes de circonstances personnelles ou culturelles. C'est comme lorsque vous vous développez dans un autre pays et que vous n'avez aucun directeurs d'origine locale. J'essaye aussi de pousser ce ré-équilibrage auprès de la direction. Je suis un peu provocateur et rebelle ».

James Bond, on vous le disait.

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À propos de l'auteur

Amoureuse des rencontres humaines, Sonia a d’abord développé une carrière dans les médias, avant de s'installer à Londres et de se réorienter dans l’envers du décor digital. Comme une vocation, elle a repris sa plume pour partager la passion et les ambitions de l’hôtellerie de luxe.

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