INTERVIEW – JULIEN BARDET, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU SHANGRI-LA PARIS : « PROFITER D'UNE EXPÉRIENCE PALACE N'EST PAS L'EXCLUSIVITÉ D'UNE ÉLITE » (France)
Intelligence situationnelle et culture de l’excellence rythment le quotidien du directeur général, qui évoque avec le Journal des Palaces, sa vision pour son palace et ses équipes. |
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INTERVIEW – JULIEN BARDET, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU SHANGRI-LA PARIS : « PROFITER D'UNE EXPÉRIENCE PALACE N'EST PAS L'EXCLUSIVITÉ D'UNE ÉLITE » (France)
Intelligence situationnelle et culture de l’excellence rythment le quotidien du directeur général, qui évoque avec le Journal des Palaces, sa vision pour son palace et ses équipes. |
Catégorie : Europe - France - Interviews et portraits
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Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le 15-03-2024
Né dans le sud de la France, Julien Bardet a nourri dès son plus jeune âge une fascination pour l’hôtellerie de luxe. À seulement 10 ans, lors d'une balade à Cannes, il a une révélation en passant devant l'un des hôtels emblématiques de la Croisette. Déterminé, il annonce à sa mère : « Un jour, je travaillerai là ». Une détermination qui donne le ton d'une carrière remarquable déroulée à l’international.
Un voyage professionnel qui le mène à travers neuf pays, et dans toutes les typologies d’hôtellerie. De Cannes à Los Angeles, en passant par des destinations exotiques et prestigieuses, il a su façonner une trajectoire marquée par la recherche de l'excellence et le partage de sa passion. Il s’est imprégné du meilleur de chaque maison, des établissements azuréens comme l'Hotel Martinez à Cannes ou le Méridien Beach Plaza à Monaco, jusqu'à l'embarquement à bord du légendaire cinq-mâts Club Med 2. Il a alors marqué de son empreinte plusieurs établissements du groupe Marriott, des resorts tels que The St. Regis Bali ou The St. Regis Bal Harbour en Floride, ou des hôtels urbains prestigieux, comme The St. Regis New York, et The West Hollywood EDITION à Los Angeles.
En 2020, c’est la consécration, Julien Bardet est appelé pour diriger l’un des palaces français, le Shangri-La Paris. Doté d'une attention aux détails inégalée et d'une aversion pour l'approximation, l’homme incarne un style de leadership moderne et inspirant. Ses équipes louent son management, et la confiance qu’il leur accorde. Une approche qui l’incite à rêver d’une hôtellerie de luxe moins intimidante.
Parrain cette année de la promotion Bachelor Management International de l'Hôtellerie & de la Restauration à l’Institut Lyfe, il met par ailleurs un point d’honneur à transmettre et partager sa passion. Une passion et une vision qui ont été le fruit de notre échange avec le directeur général, dans l’écrin intimiste de son palace parisien.
Qu'est-ce qui vous séduit le plus dans l’univers de l'hôtellerie de luxe ?
Je trouve l'hôtellerie fascinante, et particulièrement, car elle reprend toutes les choses que j'aime le plus dans la vie. :
- L'humain : la rencontre de personnes que je n’aurais jamais croisées si je ne faisais pas ce métier ; les équipes avec lesquelles je travaille, et bien sûr les clients que nous avons la chance d'accueillir.
- Le voyage : à 45 ans, j'ai eu la chance de travailler dans neuf pays, et cela est vraiment lié à mon activité.
- La gastronomie et le côté épicurien de la profession.
- Les palaces ont aussi un côté mystique. Nous avons un devoir de discrétion et nous connaissons de nombreux secrets de nos clients. Cela est assez magique d'avoir ce privilège de les connaître, et d'avoir cette responsabilité de garder le silence.
Ma fascination pour l’hôtellerie vient enfin de la recherche d'excellence, qui se fait en priorité au niveau de l'humain, au travers du service. En tant que chefs d'entreprise, directeurs de palaces, la première chose que nous vendons est le service. L’expérience se traduit bien sûr au niveau de la culture de l'hôtel, de son design, mais aussi du service qui est apporté aux clients.
Selon vous, quels sont les principaux défis et opportunités auxquels fait face le secteur de l'hôtellerie de luxe ?
Il y a une mutation et une transformation du type de clientèle qui vient fréquenter nos établissements par rapport à ce que l’on observait il y a une vingtaine d'années.
Profiter d'une expérience palace n’est pas l’exclusivité d’une élite et ne doit pas être intimidant. Cela peut être pour un petit-déjeuner, un tea time, dans un de nos restaurants étoilés ou pas. À chacune de ces expériences-là, cela doit résonner pour l'audience qui souhaite en profiter.
Quelles rencontres professionnelles ont marqué votre carrière ?
L'un des premiers à avoir éveillé quelque chose en moi sur l'attention au détail est Philippe Abraham. En 2001, j'étais responsable des restaurants du Club Med 2, et il était responsable des croisières. Il m'a vraiment poussé à aller dans le détail et dans l'obsession de la satisfaction client.
Par ailleurs, lorsque je suis devenu Hotel Manager du St. Regis de New York. Hermann Elger, aujourd’hui CEO de Forbes Travel Guide, était mon directeur général. Il répétait régulièrement que nous avons la chance de travailler dans des lieux extraordinaires, dans un environnement luxueux, mais que, si ce luxe-là n'est pas traité avec le cœur et avec humilité, cela peut rapidement être perçu comme de l’arrogance. Alors que si vous y mettez tout votre cœur et toute votre humilité, cela peut rapidement être interprété comme de l'élégance.
Vous avez vécu dans neuf pays au cours de votre carrière, comment ces expériences ont-elles influencé votre vision de l’hôtellerie et du service ?
Je pense avant tout qu’humainement, cela force à l'adaptabilité et à l'agilité. Cela développe ces compétences davantage, du fait que l’on voit différents horizons, que l’on doive s'adapter à des cultures, à des langues, à des équipes, à des lieux qui sont à chaque fois différents, à des marchés, à des typologies d'hôtels, que ce soit des resorts, des hôtels de centre-ville, des hôtels de luxe classiques ou des hôtels de luxe Lifestyle.
Je me considère privilégié d'avoir pu voir autant de choses, mais cela demande aussi des sacrifices. Lorsque vous avez une vie de famille, vous imposez cette adaptabilité à toute la famille. Il est important de bien s'assurer que les personnes qui partagent notre vie sont aussi prêts à vivre ces changements, car il y a quand même des déracinements qui se font régulièrement et des choses qui sont à reconstruire à chaque étape.
Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier de directeur général ?
Quand vous êtes directeur général d’un hôtel, vous vous entourez de personnes qui sont techniquement plus fortes que vous dans leur domaine de compétences. Quand vous êtes directeur général d'un Palace, vous vous entourez de ceux qui font partie des meilleurs dans leur domaine de compétences. Ce qu'on attend d'un directeur général, c'est d'avoir des questions. Pour pouvoir challenger les équipes et coordonner tout cela.
Ce que j’aime le plus, c’est la diversité des problématiques que l’on peut avoir à traiter dans une journée, que ce soit d’entrer dans une chambre avec le gouvernant général et le directeur technique pour prévoir de redécorer cette chambre, d’enchaîner sur une conversation avec notre chef des ressources humaines sur la sélection de profils les plus adaptés, avant d’échanger avec le chef et le directeur de la restauration sur un choix de vaisselle et sur la carte d’été. En parallèle, être appelé pour accueillir un client, et juste après cela, devoir se pencher sur quelle stratégie commerciale nous allons adopter pour les Jeux olympiques à venir, et s’interroger pour savoir si le remplissage du moment est en phase avec notre plan d'actions.
Et, au Shangri-La Paris ?
Je me considère privilégié de pouvoir travailler dans un écrin aussi prestigieux, avec un côté historique qui fait partie de l'ADN et des piliers pour être un palace en France. Le bâtiment a été édifié en même temps que la tour Eiffel, et était occupé par Roland Bonaparte, le neveu de Napoléon. Je suis à la tête du palace le plus proche du monument le plus visité dans le monde, et je réalise chaque jour que j'ai beaucoup de chance.
Pourriez-vous citer une anecdote vécue dans cet hôtel ?
Il y aura quatre ans dans quelques jours, je prends la direction de cet hôtel en plein COVID. Paris et toute la France sont complètement confinées, de même que Los Angeles d'où je pars. J'arrive dans un hôtel qui a déjà fermé ses portes depuis deux semaines.
Les agences immobilières sont fermées, le conteneur contenant nos affaires ne sera acheminé en France que lorsque le confinement sera levé. J’arrive donc avec mon épouse et nos deux enfants. Nous avons ainsi passé 109 nuits dans l’une de nos deux suites présidentielles, dans un hôtel fermé, avec trois agents de sécurité, deux techniciens, et un duty manager, présents H24.
Comment définiriez-vous l’hôtellerie de luxe ? Pourriez-vous développer le concept d’« orchestrated happiness » ?
En tant que directeur général, nous intervenons tel un chef d'orchestre, pour être certain que tous les acteurs travaillent en harmonie et que la mélodie soit plaisante à l’oreille et en accord avec l'expérience client. « Orchestrated happiness » (bonheur orchestré) signifie que notre première priorité est de nous assurer que l'expérience que vivent nos clients soit la meilleure qu’elle puisse être.
Vous dirigez l’un des 31 palaces français, quel est « le plus » qu’attendent les clients de ce niveau d’hôtellerie ? Pourriez-vous citer un exemple d’attention très « palace » que vous apportez à vos clients ?
Lorsque vous entrez dans un palace, une magie doit s’opérer, sans qu’elle soit forcée. Par définition, rien dans un palace ne doit être ordinaire. Tout ce que les clients viennent chercher, la mission quotidienne des équipes, c'est l’extraordinaire. Nos clients viennent chercher une expérience extraordinaire, qui sort de la normalité, qui sort de ce que vous avez l'habitude de rencontrer dans des établissements différents.
Parmi les exemples possibles, si des clients se marient dans notre hôtel, à chaque anniversaire de mariage, nous leur envoyons un présent pour qu’ils se rappellent ce jour. Lorsque des clients viennent célébrer leur anniversaire de mariage dans notre établissement, notre service de relations clients recherche un souvenir de leur mariage, avec l'aide de leurs assistants ou de leurs proches, et nous plaçons ce souvenir dans leur chambre pour leur souhaiter la bienvenue.
Comment crée-t-on l'extraordinaire quand nos clients connaissent déjà le summum partout où ils passent ?
L’humain crée la différence. Nous sommes amenés, particulièrement durant la nuit, à avoir des petits accrocs. Est-ce que l’on en est satisfaits ? Non. Est-ce que cela arrive régulièrement ? Oui.
En revanche, nous avons une opportunité qui est assez extraordinaire, c'est qu'à partir du moment où l’on identifie qu'il y a quelque chose qui ne s’est pas exactement passé comme les clients le souhaitaient, nous le savons. Et, c'est alors la mission de la personne qui détient cette information, de faire ce qu'elle doit faire. Elle doit être complètement libre de renverser cette situation, c’est le « guest recovery ».
Pourriez-vous développer cette notion de « guest recovery » ?
La première étape est d'être connecté avec ses clients, car tous nos clients ne vont pas nécessairement vocaliser leur mécontentement. La première des choses à faire, c'est de s'assurer qu'au travers de chacune des étapes du parcours client, on interroge le client et l’on s'assure qu’il passe un bon séjour, parce que vous ouvrez ainsi la porte au feedback.
Une fois que vous avez cette information-là, il y a une nécessité que les équipes sachent que la direction a une confiance totale en elles et qu'elles ont carte blanche pour s'assurer qu'elles ont le droit et le devoir de faire ce qui doit être fait, avec un budget significatif, pour renverser cette situation et pour s'assurer que le client va repartir satisfait. Je ne tolère pas que des personnes qui ont un échange avec le client, soient dans cette situation de « laissez-moi demander à mon manager ». Non, le problème est là, vous le réglez, et ensuite, vous expliquez à votre manager ce qui s'est passé et s’il faut documenter quelque chose, car il y a des offerts et autres.
En anglais, on distingue le « guest recovered » et le « guest compensated ». Ce n’est pas parce que vous faites un geste commercial que le client va forcément repartir content. Une carte et une bouteille de champagne en chambre ne vont pas régler le problème du client. Toutes nos équipes sont donc formées au travers d'un programme de Guest Recovery, que je leur prodigue moi-même.
Quels sont les conseils que vous donneriez à un jeune qui veut faire carrière dans le secteur de l’hôtellerie de luxe ?
Deux citations inspirantes de Steve Jobs me viennent à l’esprit : « Votre travail va occuper une grande partie de votre vie, et la seule façon d'être vraiment satisfait est de faire ce que vous estimez être un excellent travail. Et, la seule manière de faire du bon travail est d'aimer ce que vous faites ». Et, la seconde est une question qu’il posait souvent à ses salariés, « est-ce le mieux que vous puissiez faire ? ».
À chaque interaction que vous pouvez avoir, posez-vous la question, quand vous avez fini, « est-ce que c'était la meilleure version et puis-je faire mieux que ça ? ». Car, si vous avez déjà identifié que vous pouviez faire mieux, faites-le sur le champs. Et dans un palace, c'est attendu ; que vous éleviez le niveau. C’est la magie du palace ; si vous avez 400 salariés et que les 400 font cela en même temps, cela veut déjà dire que l'expérience de demain sera meilleure que celle d'aujourd'hui.
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