INTERVIEW – SOPHIE VOLANT, DIRECTRICE DE L'HÔTEL DU CAP EDEN ROC À ANTIBES : « ÊTRE DIRECTEUR NÉCESSITE D'AVOIR UNE VISION TRÈS GLOBALE, POUR PROTÉGER ET MAINTENIR LA RÉPUTATION DE LA PROPRIÉTÉ » (France)
Entre gestion des équipes et respect de l’identité de ce palace érigé en 1870, Sophie Volant nous embarque avec elle dans son quotidien à l’Hôtel du Cap Eden Roc |
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INTERVIEW – SOPHIE VOLANT, DIRECTRICE DE L'HÔTEL DU CAP EDEN ROC À ANTIBES : « ÊTRE DIRECTEUR NÉCESSITE D'AVOIR UNE VISION TRÈS GLOBALE, POUR PROTÉGER ET MAINTENIR LA RÉPUTATION DE LA PROPRIÉTÉ » (France)
Entre gestion des équipes et respect de l’identité de ce palace érigé en 1870, Sophie Volant nous embarque avec elle dans son quotidien à l’Hôtel du Cap Eden Roc |
Catégorie : Europe - France - Interviews et portraits
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Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le 20-12-2023
Le goût d'ailleurs mène souvent vers l’hôtellerie. Sophie Volant a embrassé cette carrière grâce aux beaux voyages vers lesquels l’entrainaient ses parents. Le goût des autres est souvent aussi le second critère de choix, et la sociabilité qui caractérise Sophie Volant a conforté ce choix. Fière de l’excellence à la française, c’est vers l’Institut Paul Bocuse (désormais Institut Lyfe) qu’elle se tourne.
À quelque 19 ans, elle réalise son premier stage en restauration à l'Hôtel du Palais à Biarritz, mais c’est à l’étranger qu’elle envisage la suite, déterminée à conjuguer une expérience en Asie et une expérience aux États-Unis. L’école ne propose pas encore de stages à l’étranger, peu importe, après près de 500 CV manuscrits envoyés, son audace et sa persévérance lui permettent de décrocher un stage à l’Oberoi de Bali, cette fois-ci en hébergement, de la réception, à la réservation en passant par la relation clients.
Son troisième stage sera crucial dans la suite de sa carrière, puisqu’elle débarque à l'Hôtel de Crillon à Paris, auprès de Philippe Perd. La belgo-bourguignonne, telle qu’elle se définit, s’envole alors pour les États-Unis, à Disney World, pour la facilité de visas, à l’hôtel Grand Floridian Resort & Spa. Les États-Unis deviennent sa terre d’adoption pour quelques années, puisqu’elle débarque ensuite au New York Palace Hotel sur Madison avenue, un établissement de 1.000 chambres. L’ascenseur social américain réagit à son ambition, et elle évolue rapidement, passant de Front Office Manager à Guest Relation Manager, avant de devenir Tower Sales Manager. De retour en Europe en 2007, elle fait escale à Londres, avant d’atterrir sur la Côte d'Azur, à l'hôtel du Cap Eden Roc, qu’elle n’a plus quitté depuis. Philippe Perd, qui dirige le palace, avait, en effet, perçu sa valeur lors de son passage au Crillon.
Sophie Volant nous a accordé un entretien lors duquel elle revient avec plaisir sur cette carrière, sa vision du métier, et son amour pour son palace, l’Hôtel du Cap Eden Roc, ses clients et ses équipes.
Qu’est-ce qui caractérise le plus l’Hôtel du Cap Eden Roc ?
Nous avons deux spécificités à l'Hôtel du Cap Eden Roc ; nous sommes d’abord un hôtel saisonnier, et ensuite, grâce à l'histoire de l'hôtel, nous avons la chance exceptionnelle d’avoir un très fort taux de clients loyaux, qui reviennent à l'hôtel depuis 20 ans, 30 ans, 40 ans. Parfois 50 ans pour certains d'entre eux, religieusement, tous les ans, à la même date, dans les mêmes chambres.
Nous avons également, en parallèle, la chance d'avoir des hôteliers, des employés tout aussi loyaux. Cette année, nous avons célébré les 40 ans d’ancienneté de certains de nos employés, une dizaine sont là depuis 40 ans. Il y a donc un relationnel assez unique qui se crée entre ces loyaux clients et ces loyaux hôteliers, ce sont presque des relations familiales.
Je me souviens de mon arrivée à l'Hôtel du Cap Eden Roc, j'ai vu des employés faire de grandes accolades, taper dans le dos et faire la bise aux enfants des clients qui arrivaient, car ils ont tout simplement vu grandir ces enfants. Nos clients ne voient pas nos employés comme des employés, mais presque comme des amis de famille et ne voient donc pas l'hôtel comme un hôtel, mais comme leur maison d'été. Parfois même, de jeunes enfants qui séjournent ici choisissent de se marier à l'hôtel lorsqu’ils deviennent adultes.
Combien de collaborateurs œuvrent à l’Hôtel du Cap Eden-Roc ?
Au pic de la saison, 550 hôteliers sont présents, pour 111 chambres, soit un ratio de cinq personnes par chambre. Pendant la période de fermeture de l’hôtel, 100 personnes sont en CDI, parmi lesquelles des jardiniers, des techniciens. Nous avons également des employés, qui, l’été, sont en service, chef de rang ou maître d'hôtel, et l'hiver, sont attachés à l'hôtel, restent et mettent l'habit de peintre pour peindre toutes les chambres du personnel ou les chambres des clients, vont poncer le bois et entretiennent l'hôtel.
Vous soulignez la fidélité de vos employés, est-ce aussi le cas dans les nouvelles générations ?
Une bonne question avec la génération Z, on a l'impression qu'ils ont plus l'envie de changer facilement, c'est dans l'air du temps. Mais, nous avons la chance d'appartenir à un groupe hôtelier où l’on essaie de développer les personnes dans les hôtels du groupe.
Certains tombent totalement amoureux de l'hôtel, de jeunes personnes qui sont des perles, qui ont des étoiles dans les yeux tous les matins en venant travailler. Ils sont toujours de bonne humeur, tellement bienveillants, chouchoutent les clients comme vous le feriez avec votre grand-mère bien-aimée. C'est assez exceptionnel, et eux n’ont vraiment pas envie de partir.
Vous êtes directrice de l’hôtel du Cap Eden Roc à Antibes. Quelles sont vos missions principales dans ce cadre ?
Mes missions sont réparties sous quatre grands thèmes :
Bien évidemment, il y a une mission tournée vers l'expérience client. Il faut toujours, avec l'aide des équipes, inventer des concepts inspirants, des concepts de restauration, de SPA, d'expérience, etc. Il faut anticiper leurs besoins, ça, c'est le luxe et il faut transformer leurs moments précieux, qui sont leurs vacances, en souvenirs magiques pour le reste de leur vie.
Lorsque l’on est directeur d'hôtel, toute la partie hôtelier/personnel/recrutement, est très importante. Nous devons donner à nos équipes les outils nécessaires pour bien faire leur travail, les développer, les former, s'assurer qu'elles soient épanouies pour qu'elles aient envie de rester.
Par ailleurs, être directeur nécessite d’avoir une vision très globale, pour protéger et maintenir la réputation de la propriété. Dans notre cas, à l'hôtel du Cap, nous devons protéger un patrimoine, protéger l'âme des lieux, car moderniser un hôtel pour le XXIe siècle, tout en protégeant son histoire, n'est pas forcément facile. Protéger un patrimoine pour les générations futures, est quelque chose que je garde constamment en tête dans toutes les décisions que nous sommes amenés à prendre.
Enfin, le dernier volet, c'est la sécurité de tous, des clients, des hôteliers et des partenaires qui viennent travailler à l'hôtel. Cela inclut la sécurité des biens, la sécurité des personnes et la sécurité digitale qui est aujourd’hui un vrai sujet. Nous devons être capables de protéger les données de nos clients, et leur vie privée.
Vous avez été honorée du prix de Best Hotelier of the Year lors du salon DUCO France 2023. Comment réagissez-vous à une telle reconnaissance ?
J’ai été surprise puisque j’ai su tardivement que j'étais nommée, je n’étais pas au courant. C'est une connaissance sur les réseaux sociaux qui m’a envoyé un message en me félicitant.
Face à ce panel extraordinaire d'hôteliers expérimentés, le Plaza Athénée, le Four Seasons Hotel George V, le Bristol Paris, le Carlton Cannes, le Ritz Paris… C'est un honneur, mais je l'accepte avec le plus d'humilité possible. Au-delà de l'hôtelière et de la femme que je suis, cette récompense va surtout aux 550 hôteliers derrière l'hôtel, car je ne peux pas faire mon métier sans les autres.
Comment définiriez-vous l’hôtellerie de luxe ?
C'est une forme d'accès à la rareté, qui peut être la rareté d'un lieu magnifique et assez unique d'une vue, la rareté d'un patrimoine, bien évidemment. Mais, c'est essentiellement aussi la rareté d'un savoir-faire, car vous pouvez avoir toutes les plus belles vues et les plus beaux matériaux du monde dans une chambre, ce qui est nécessaire dans le luxe, mais vous devez aussi avoir la rareté d'une expérience.
Et, je pense que l'expérience, une expérience unique, passe par le savoir-faire des personnes qui sont là pour vous servir. Celui d'un pâtissier ou d'un chocolatier, mais également d'un grand concierge qui va savoir, dans son relationnel et dans son échange avec vous, vous faire sentir comme la personne la plus importante au monde.
Vous donnez aussi accès à des choses totalement exclusives auquel le commun des mortels n'a pas accès. C'est la rareté dans l'ensemble de ce que l’on offre à vivre au client.
À quels défis êtes-vous confrontés à l’Hôtel du Cap Eden Roc ?
Les défis que nous partageons tous sont l'adaptation à la fameuse génération Z, un vrai sujet dans tous les métiers, pas uniquement dans l'hôtellerie-restauration. Le recrutement est le défi d'aujourd'hui, c'est sûr. Nous nous en sortons bien, car nous faisons encore rêver, mais c'est plus difficile qu'avant. Nous mettons de nombreuses actions en place pour tâcher d'attirer les personnes et les garder. Un des défis de demain auxquels nous allons tous faire face est l'intelligence artificielle. Je pense que nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
Les défis environnementaux aussi, avec la RSE, nous conduisent à beaucoup réfléchir, et cela est commun à l'hôtellerie en général : la gestion de l'eau, des ressources, des déchets. Nous avons la chance d'être au cœur d'un parc magnifique, ce qui nous expose à tous les défis environnementaux.
Y a-t-il des défis spécifiques à l’échelle d’un palace ?
Cela revient à ma définition du luxe, c'est la difficulté grandissante que nous avons à trouver des artisans, avec un vrai savoir-faire.
Par exemple, il est de plus en plus délicat en service en salle de trouver des personnes qui ont déjà l'expérience d'un découpage, d'un flambage. Nous les embauchons, et leur apprenons. À l'Hôtel du Cap, nous gérons notre propre linge, ce dont nous sommes fiers, car cela amène une qualité bien évidemment supérieure, et nous rend moins dépendants de sociétés extérieures. Mais, nous peinons à retrouver des repasseuses par exemple. C'est un vrai métier. Comme les couturières, car nous faisons la couture pour nos clients au quotidien, avec de magnifiques robes qu'il faut retoucher, et c'est un vrai métier de savoir retoucher une robe qui coûte 50.000 €.
Aujourd'hui, ce genre de savoir-faire se perd et dans un palace, c'est un défi.
Comment votre métier a-t-il évolué ces dernières années ?
Lorsque j’ai débuté il y a plus de 25 ans, dans l'hôtellerie-restauration, nous faisions ce que l’on nous disait de faire et nous ne posions pas de questions, en travaillant dur.
Aujourd'hui, nous gérons des équipes qui questionnent tout, qui veulent tout comprendre et qui ne feront pas ce qu'on leur demande si pour elles, c'est dénué de sens. Mais, comme nous avons 550 employés, dont 50% de la génération Z, nous devons changer nos manières de gérer les équipes. Nous devons donner un sens à tout ce que l'on fait.
Les jeunes d'aujourd'hui veulent un sens, pour trouver une juste cause dans leur travail et leur mission au quotidien. C'est très bien de ne pas accepter de faire tout et n'importe quoi sans poser de questions, c'est une forme d'intelligence. Et, effectivement, la génération Z veut travailler moins dur que ce que nous avons pu accepter dans le passé. C'est une bonne avancée, mais il faut s'adapter.
Qu’avez-vous changé pour répondre à ces attentes ?
Un exemple très probant et coûteux, mais nécessaire, est que nous tâchons au maximum de ne plus proposer de postes avec coupures, en restauration, cuisine ou salle, mais également pour les voituriers. Nous essayons par ailleurs davantage de donner des jours continus de congés. Cela demande une adaptation des plannings, et donc des ressources humaines et un investissement supplémentaire.
Pourriez-vous citer quelques rencontres professionnelles qui ont marqué votre carrière ? Avez-vous des mentors et si oui, pouvez-vous nous en parler ?
Philippe Perd, le directeur général de l’hôtel, est mon mentor, car c’est grâce à cette rencontre que j'ai pu découvrir l'Hôtel du Cap Eden Roc. Je travaille ici à ses côtés depuis 15 ans maintenant et depuis 25 ans si je compte l'Hôtel de Crillon. C'est une personne absolument exceptionnelle. Il m'a appris à gérer un hôtel et des personnes. Il m'a aussi appris la bienveillance, le respect et la gentillesse, avec une exigence sans faille. Car dans le luxe et dans ces métiers-là, il faut être extrêmement exigeant sur la qualité, voire intransigeant. Dès que je rencontre une personne, j'essaye de me nourrir de ce qu’elle peut m'apprendre ou m'apporter.
À l'Institut Paul Bocuse (désormais Institut Lyfe), j'ai rencontré Madame Éléonore Vial, qui m'a beaucoup épaulée dans mes choix d'aller travailler à l'étranger, jusqu’à venir me voir à Bali alors que j’étais partie seule à 19 ans. Elle a suivi ma carrière et nous sommes toujours en contact. Lorsque l’on est jeune, il est très important d'avoir la chance de rencontrer des mentors, qui, avec beaucoup de bienveillance et de respect pour vos choix, vous aident à les exaucer.
Enfin, Laurent Vanhoegarden, qui était directeur du Cap Eden Roc, m'a appris que le côté social d'un rôle de directeur était absolument primordial. Je l'avais en moi, mais je n’avais pas forcément compris que c’était une nécessité absolue. Nous sommes là pour aider les personnes, pas pour les cravacher. Cela concerne les employés de l'hôtel, mais aussi les intervenants et les partenaires extérieurs, comme la police, les pompiers, la gendarmerie, toute personne qui peut intervenir à l'hôtel. Notre communauté locale a besoin d'entreprises comme la nôtre qui amène énormément de travail et qui font rayonner la destination. Je pense que Laurent Vanhoegarden m'a appris ça.
Quels sont les conseils que vous donneriez à un jeune qui veut faire carrière dans le secteur de l’hôtellerie de luxe ?
Il faut essayer de savoir plus ou moins ce que l’on veut, et ce que l’on ne veut pas, et s'y tenir. Il est important, lorsqu’on est jeune, de se dire qu'il faut absolument respecter tout le monde et que personne n’est supérieur à l'autre. Il faut aller vers les autres et s'intéresser à tout, à la restauration, mais aussi à l'hébergement, aux lingers, au Housekeeping, à la finance, aux sales et marketing.
Ensuite, je rappellerai qu’on n'est pas directeur général en sortant de l'école hôtelière. Il faut mettre la main à la pâte et il faut travailler, vivre des expériences, pour pouvoir ensuite manager des personnes.
Et, s'il veut faire du luxe, j'aime bien dire, que le luxe, c'est créer des expériences émotionnelles pour nos clients et leur amener une forme de rareté dans ce qu'on offre, mais pour ça, il faut, au quotidien, être soi-même extraordinaire. Il faut donc se dépasser, ne pas être dans la médiocrité. Pour vouloir du luxe, il faut être exigeant envers nous-même, nous dépasser, créer l'extraordinaire.
Je pense qu'aujourd'hui, plus que jamais en France, nous avons encore la chance que les métiers de l'hôtellerie-restauration restent une passion et un vrai métier pour les jeunes. Il faut faire perdurer ces savoir-faire.
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