INTERVIEW – ADRIEN DALANG, CIGARE-SOMMELIER : « RENDRE LE MONDE PLUS HEUREUX À TRAVERS L'UNIVERS MAGIQUE DU CIGARE » (Suisse)
« J’ai pu apprendre à lire un cigare ; lorsque je fume un cigare, je m’interroge sur la patte de l'écrivain, son style littéraire, ce qui est tellement intéressant ». |
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INTERVIEW – ADRIEN DALANG, CIGARE-SOMMELIER : « RENDRE LE MONDE PLUS HEUREUX À TRAVERS L'UNIVERS MAGIQUE DU CIGARE » (Suisse)
« J’ai pu apprendre à lire un cigare ; lorsque je fume un cigare, je m’interroge sur la patte de l'écrivain, son style littéraire, ce qui est tellement intéressant ». |
Catégorie : Europe - Suisse - Interviews et portraits
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Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le 01-06-2023
Cigare-sommelier, un métier évocateur, un métier qui inspire instantanément un voyage des sens. C’est dans cet univers onirique du cigare qu’Adrien Dalang a choisi de s’évader, il y a déjà 16 ans, lorsqu’il avait seulement 18 ans.
Destiné à une carrière dans l’hôtellerie, après avoir intégré la prestigieuse EHL Hospitality Business School, Adrien a pourtant embrassé sa passion, au point de s’y lancer corps et âme il y a un an, en rejoignant Mosh le Cigare.
Une personnalité solaire, une conception positive de la vie qu’il croque pleinement, une énergie rayonnante, autant de qualificatifs qui pourraient résumer Adrien Dalang. Quand le jeune homme crée ses propres recettes de cigare et développe des expériences qui subliment le cigare, il rêve surtout à un ailleurs. Un ailleurs qui le conduirait à cultiver ses plants de tabac en Amérique Centrale. Le cigare-sommelier se rêve paysan, mais entraîne en attendant ses clients dans son rêve voluptueux, fait de bouffées méditatives et de dégustations olfactives.
Entre le monde du cigare et celui du vin et de la gastronomie, il n’y a qu’un pas. C’est ainsi qu’Adrien a habilement su mettre un pied dans l’univers des palaces, où il fait vivre aux clients une relation entre mets, cigares, vins et boissons. Des expériences complétées par une offre unique de formations dédiées au personnel des palaces.
Le temps d’une délicieuse bouffée, nous avons pu échanger avec Adrien Dalang, qui nous a embarqués pour une balade dans le monde des cigare-sommeliers.Journal des Palaces : Quel a été le déclencheur qui vous a conduit vers le métier de cigare-sommelier ?Adrien Dalang : Il y a 16 ans, j'étais au bord du lac Léman en Suisse, et l'idée m'est venue de fumer un cigare au centre du lac. Je suis alors entré dans le premier magasin de cigares que j'ai trouvé. C'était sombre, je n’y connaissais rien et là, j'ai été accueilli par Dominique Boyer d'Arcachon, qui m’a dit « bienvenue dans l'air du temps, du savoir transgénérationnel et de l'explosion des papilles gustatives ». Et, ça m'a saisi.
Il a dû sentir ça en moi, il m'a proposé de revenir chaque dimanche, chose que j'ai faite, pour les années à venir. Il est devenu mon parrain de cœur, m’a invité à sa table, m’a fait découvrir l'épicurisme, le partage, l'échange, les bonnes choses.
Lors de son décès, un an plus tard, j'ai décidé de fumer un cigare qu’il m'avait offert pour m'aider à faire son deuil. Au lieu d’un moment triste, ce fut un moment de joie, car j'ai su, à cet instant, que j’allais partager le cigare avec le monde, comme lui l'avait partagé avec moi.Comment passe-t-on de l’EHL à une carrière de cigare-sommelier ?J'ai fait le cours Florent à Paris. Après un one-man-show dans une petite salle de 30 personnes, on m'a proposé de continuer à me mettre en scène. Mais, j'ai décidé de partir à l'École Hôtelière de Lausanne. Ces expériences d’entrepreneuriat, de management et de théâtre m'ont amené sur les voies du coaching en art oratoire, pour aider les gens à s'exprimer en public. Je me suis intéressé à la gestion du temps, puis à la gestion des énergies et finalement, la gestion des émotions. Après le Covid, j'ai enchaîné des petits boulots afin de pouvoir faire cette transition. Je me suis rendu compte que j’aimais la simplicité.Après l’EHL, où avez-vous entrepris votre formation pour devenir cigare-sommelier ?Je me suis formé à l’IACS, l’International Association of Cigar-Sommelier. J’ai adoré, car une formation à distance couvrait la théorie du travail du terrain, jusqu'au service du cigare, où l’on passe à travers plus de 300 étapes. Cela m’a vraiment permis de comprendre comment était fait un cigare, pourquoi c'était fait, ce que cela nécessitait, tous les contrôles de qualité, et d'avoir une compréhension théorique de cet univers.
J’ai ensuite passé mon master sommelier en présentiel en République dominicaine, à l’Institut National du Tabac, où j'ai appris à fumer les différents plans des cigares. Par rapport à une vigne, où toutes les grappes ont les mêmes propriétés organoleptiques, pour les plants de tabac, les feuilles du bas ont différentes propriétés organoleptiques que les feuilles du haut, et donc c'était hyper intéressant.
Pour la première fois de ma vie, j’ai pu apprendre à lire un cigare. Lorsque je fume un cigare, je m’interroge sur la patte de l'écrivain, son style littéraire, ce qui est tellement intéressant.Comment a débuté votre aventure avec Mosh le Cigare ?J’ai décidé de les rejoindre pour tout reprendre à zéro, en partant en République dominicaine, à la recherche d'une manufacture, pour blender, et donc créer des recettes.
Il y avait des critères de qualités que je recherchais dans une manufacture. Une fois trouvés, je me suis mis à composer. J'avais une cinquantaine « de cépages » de tabac devant moi, et j'ai commencé à les assembler pour créer des cigares sur des arômes de bois et de cacao.
J’ai déterminé sept critères, lorsque je suis parti en quête de la manufacture avec laquelle nous allions travailler : - Choisir une manufacture qui cultive ses propres tabacs
- Voir les fermes de séchage
- Vérifier la fermentation
- Voir le processus de vieillissement
- Rencontrer les rouleurs, pour les choisir en fonction de leur qualité de travail et de leur énergie. Carlos et Jake roulent tous mes cigares.
- Connaître la quantité de stocks disponibles, pour avoir de la consistance à travers les années.
- Enfin, assurer une qualité de relation avec la manufacture, avec le personnel.
Il y a deux façons de concevoir une recette. Soit, je me rends en République dominicaine, et j'ai accès aux tabacs, que je prends, je roule et je fume en faisant des essais. Soit ici, en Suisse, comme l'air est sec, fin, en altitude, avec moins d'humidité, l'oxygène est aussi différent, je suis en conditions réelles pour le lire, déguster. Je commande le même cigare avec 22 adaptations de recettes différentes, et j’en sélectionne une.Vous travaillez aussi les accords mets et cigares ou vins et cigares ?Aujourd’hui, j'aime beaucoup ce que je fais grâce à Mosh le Cigare. Je rencontre des fromagers, des bouchers, des chocolatiers, des gens dans le spiritueux, des vignerons. Je goûte 15 à 20 de leurs produits, que je confronte aux cigares, et j’en retiens trois à cinq, que j’associe au fur et à mesure de l'évolution du cigare.
Par exemple, j’ai travaillé avec un vigneron pour le Torpedo. On débute par un vin blanc très fruité, sur des arômes floraux et minéraux. Et graduellement, on apporte la gourmandise, avec un rosé sur les arômes de framboises. Enfin, on associe un vin rouge, qui a été vieilli en fût de chêne, avec des barriques qui ont arrondi les tanins. On avait le côté guilleret, printanier du rosé, puis ce côté un peu plus ténébreux, puissant, de l'automne, avec ce vin rouge. Et l'on a terminé sur une eau-de-vie de marc de vin rouge à 43° de 1983, pour accompagner la puissance de ce cigare. Cette complexité aromatique servait très bien la puissance et la complexité de la fin du cigare.Quels autres services proposez-vous aux hôtels ?Je propose trois formations : - Amener les équipes d'un établissement, hôtel ou restaurant, à s'ouvrir à l'art du cigare, en associant théorie et pratique. Apprendre à servir un cigare, quel cigare pour quelle personne, initiée ou non-initiée, dans quelles conditions, pour quelle occasion.
- Création d’une expérience client en créant des accords avec les produits de l’établissement.
- Création d’une cave, qui inclut un cours sur les marques.
Par exemple, j’ai été mandaté pour une mission d’un mois, au Dusit Hotel à Doha au Qatar, pour former le personnel.
Enfin, je vais donner des cours au festival InterTabac de Dortmund en Allemagne, sur le blend, la création du cigare, le choix et la collaboration avec la manufacture et également sur l’acquisition d’une grille de lecture pour la dégustation.Pourriez-vous nous parler de vos créations ?J’ai vraiment voulu créer des arômes suisses, sur des arômes de bois et de cacao. Car chaque pays a son identité et moi, ce que j'aime en Suisse, ce sont les forêts, les montagnes, donc le bois et le chocolat. Pour mon premier cigare, j'ai créé 12 recettes et retenu deux, que j’ai réadaptées.
Le premier contient six tabacs différents. Le Wide Churchill, a des arômes de cacao au lait, avec ce côté boisé, légèrement épicé. Il offre une vraie palette aromatique, un mix très aérien. Le fait d’avoir un diamètre un peu plus large, permet un plus grand tirage. On a une fumée très fraîche, aérienne. C’est notre best-seller.
Le second cigare, le double Corona contient cinq tabacs différents. Dans celui-ci, on est vraiment sur de la poudre Ovomaltine au chocolat noir, sur un produit gourmand, qui va avancer calmement, doucettement. Il faut investir du temps, à fumer calmement, pour en extraire ces arômes de cacao. Celui-ci est mon préféré.
Ma dernière création, le Torpedo, qui inclut sept tabacs différents, est inspirée du boléro de Ravel. Ce que j'aime dans le boléro de Ravel, c'est que l'on commence calmement et que l'on a cette évolution jusqu’à un final qui termine en feu d’artifice. On commence par quelque chose de très doux, d'un peu végétal. Puis, on va avoir des notes minérales, pour terminer sur des notes gourmandes de chocolat noir à 85% de cacao. On va réellement développer cette palette aromatique puissante. C’est un cigare pour une personne plus expérimentée qui a envie d'avoir une évolution dans son cigare.
Une quatrième création arrive avec huit tabacs différents, et je travaille sur une cinquième recette, qui sortira à la fin de l’année après mon voyage en République dominicaine.En quoi le cigare est-il une expérience unique ?Nous venons tous d'univers et de cultures différentes. Cependant, quand nous sommes réunis autour du même produit, nous voyons à quel point nous avons en commun. Réussir à réunir avec le cigare est l'une des plus belles choses. Avant que Christophe Colomb n’arrive en Amérique centrale, les Taïnos, un peuple qui vivait dans les Caraïbes, fumait le cigare pour entrer en contact avec Dieu, pour apprendre à chasser, à pêcher, à résoudre des conflits et à vivre en paix.
Je pense que cette magie s’est transmise à nous, puisqu'elle nous permet encore aujourd'hui de se réunir. J'aimerais permettre de rendre le monde, à mon échelle, plus heureux à travers l'univers magique du cigare.Comment s’assurer d’apprécier le mieux possible son cigare ?Fumer un cigare, c'est un moment méditatif, qui nous plonge un peu dans cet état de transe où l'on laisse de côté le mental pour être uniquement dans notre ressenti, ce qui nous permet de prendre des meilleures décisions, d'éviter des pièges et puis aussi de se rencontrer et de créer de nouvelles collaborations.
Souvent, les personnes se rencontrent le temps d'un cigare, et une fois ce dernier terminé, on se dit au revoir. Le meilleur cigare est, pour moi, celui que l'on fume avec des gens que l'on aime.Quelle serait la concrétisation idéale de votre parcours ?Je ne suis pas un businessman, lorsque j'aurai ma manufacture de tabac en Amérique centrale, je ne serai pas le président de ma boîte, j’en serai le fermier, le chef cuisinier. Mon objectif est de travailler sur des tabacs que j'aime et de créer des recettes gourmandes.
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