INTERVIEW - DENIS FÉRAULT : « TOUJOURS UN PIED DANS L'ACTION AVEC LES PROFESSIONNELS » (France)
Je dis aux jeunes : « Vos parents vous ont offert une éducation, mais nous, nous vous inculquons une éducation professionnelle, un savoir-être professionnel ». |
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INTERVIEW - DENIS FÉRAULT : « TOUJOURS UN PIED DANS L'ACTION AVEC LES PROFESSIONNELS » (France)
Je dis aux jeunes : « Vos parents vous ont offert une éducation, mais nous, nous vous inculquons une éducation professionnelle, un savoir-être professionnel ». |
Catégorie : Europe - France - Carrières
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Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le 10-05-2023
Denis Férault est reconnu pour son titre de Meilleur Ouvrier de France Maître d’Hôtel et des Arts de la Table 2007, qui a couronné une passion et une dévotion pour les métiers du service en salle.
Mais, Denis Férault a surtout cultivé très jeune une exigence d’excellence de service. Major de sa promo à l’école des maîtres d’hôtel de la Marine nationale de Saint-Mandrier-sur-Mer, il débute sa carrière au ministère de la Mer. Il prend rapidement le large, pour parcourir le monde et valoriser le « Service à la française ». Il sert ainsi les plus grands chefs d’État à bord du croiseur porte-hélicoptères Jeanne d’Arc, un fleuron de la Marine française.
Après quatre années passées au service de la patrie, Denis Férault rejoint l’univers de la haute gastronomie et passe de Relais & Château au groupe Méridien, avant le rachat de la chaîne par le groupe Starwood. Il fait le choix de réorienter sa carrière pour épouser de nouveaux objectifs, pour concilier passion et transmission, et rejoint l’éducation nationale.
Depuis 2017, Denis Férault est le proviseur emblématique du lycée hôtelier Jeanne et Paul Augier à Nice, et a su garder le cap de l’excellence. Pour le Journal des Palaces, il a accepté de revenir sur les clefs du succès de son établissement.Journal des Palaces : Vous êtes le proviseur du lycée hôtelier Jeanne et Paul Augier, et également MOF Maître d’hôtel, à ces deux titres, comment percevez-vous l’évolution des métiers de l’hôtellerie de luxe ?Denis Férault : Ce qui a changé positivement, c'est que l'on a apporté plus d'humanité dans ce métier. C'est toujours un jeu d'adresse et un jeu de diplomatie. Il faut savoir trouver la bonne distance en fonction des clients.
On parle aussi de plus en plus d'expérience client, on remet le client au cœur de la préoccupation. Et, dans un monde dans lequel il y a beaucoup de phénomènes anxiogènes, se faire soigner, se faire bien traiter, passe aussi par des actions de service. Quand un service est personnalisé, cela fait toute la différence pour les établissements très haut de gamme.
On voit aussi une nouvelle génération de chefs, qui associent pleinement leur maître d'hôtel, leur directeur de restaurant ou leur sommelier, à leur démarche. En les considérant comme de vrais collaborateurs, et non juste des serveurs, ils ont tout compris. Ils construisent ensemble une ambiance dans leur établissement, au-delà de la cuisine servie, mais du service apporté aussi. Et, ça, c'est très prometteur.Quelles actions devraient être mises en œuvre selon vous pour revaloriser les métiers de l’hôtellerie et du service ? Comment travaillez-vous cette attractivité des métiers au sein du lycée ?L’attractivité des métiers se travaille en créant de beaux événements, très diversifiés, en faisant venir un maximum de professionnels, en étant toujours « un pied dans l'action » avec les professionnels.
Nous ne pouvons pas rester centrés ou concentrés uniquement sur son école. Nous avons un environnement exceptionnel au niveau des maisons, des palaces et des hôtels qui nous entourent. Eux sont très demandeurs, car en faisant venir nos jeunes, ils les repèrent, voire les recrutent souvent.
C'est grâce à tous ces événements, que nos jeunes peuvent se projeter dans ce que pourrait être leur avenir, dans ce qu'ils vont réaliser plus tard, donc ça les inspire. Autant au niveau cuisine que service.Comment rendez-vous le lycée attractif ? Allez-vous puiser des candidats dans les collèges et lycées d’enseignement général ? Si oui, comment faites-vous pour faire venir les jeunes ? Des actions sont-elles organisées en ce sens ?Lorsque je suis arrivé il y a cinq ans, nous étions loin de faire le plein dans toutes nos sections. Nous avons beau être une vieille institution, le lycée va fêter ses 110 ans en 2024, nous ne devons jamais nous reposer sur nos lauriers, car tout est éphémère.
Nous avons alors déployé un grand plan de communication et d'attractivité auprès des collégiens et des lycéens. Nous organisons des mini-stages, lors desquels des collégiens viennent une journée dans l'établissement, pour découvrir la cuisine et le service. Ainsi, ils passent une demi-journée en cuisine et une demi-journée en service. Cette année, nous en accueillons près de 450.
En plus de cela, nous invitons également les professeurs principaux des collèges environnants, pour une présentation de nos formations et un déjeuner à nos côtés. On sait, en effet, toute l'influence des professeurs principaux, auprès des parents et des élèves, sur la suite, la poursuite après le collège. Autant bien les renseigner, qu'ils sachent de quoi ils parlent.
Par ailleurs, j'ai initié « les ambassadeurs » du lycée, des élèves de toute filière. Ils vont « prêcher la bonne parole », dans les lycées, dans les collèges, à l'occasion de leur forum d'orientation, leur journée emploi, etc., toujours accompagnés de professeurs. C'est important que ce soient les élèves qui parlent aux élèves.
J’ai aussi la chance d'avoir pu déléguer des missions de community manager à des professeurs. Ils nourrissent TikTok, LinkedIn, Facebook, Instagram… Ainsi, nous avons une grosse communauté qui nous suit.
Les élèves sont fiers d’être inscrits à Jeanne et Paul Augier, ils se montrent en photo dans leur nouvelle tenue, etc. Ce sentiment d'appartenance est très important.Comment accompagnez-vous les étudiants pour qu’ils soient prêts au moment d’entrer sur le marché du travail ?C'est l'objectif de la formation, j'ai envie de dire l'insertion professionnelle. À l’échelle nationale, nous avons la chance d’avoir encore beaucoup de périodes de stage dans les formations en hôtellerie restauration.
Un élève qui sort d'un établissement de formation hôtelière en France a de 8 à 22 semaines de stage minimum dans sa formation. En parallèle de quoi, plus de 50% des élèves font des extras, ont de petites périodes d’emploi durant leurs vacances, etc. Ils sont donc rapidement intégrés.
Nous leur donnons des bases, puis chaque établissement va appliquer sa propre manière de travailler. C'est tout l'intérêt du stage ou de faire plusieurs maisons.
Lors des journées portes ouvertes, je dis aux élèves : « vos parents vous ont offert une éducation, mais nous, nous vous inculquons une éducation professionnelle, un savoir-être professionnel ». C'est ainsi qu'on les aide à s'insérer facilement, quel que soit le type d'établissement.Comment tissez-vous le lien entre les entreprises et les étudiants ?Nous sommes de plus en plus sollicités par les professionnels, et nous participons à énormément d'événements, comme des soirées événementielles. Dernièrement, par exemple, nous l’avons fait avec la maison Pierre Cardin et de grands chefs. Quand ces professionnels sont en cuisine avec nos jeunes, ils les repèrent.
Toutes les semaines, des professionnels interviennent aussi dans nos murs. Ils viennent pour présenter leur entreprise, une technique particulière, etc.
Je souhaiterais que, chaque semaine, des maîtres d'apprentissage, qui accueillent nos apprentis en entreprise, viennent en travaux pratiques. Ils pourraient mesurer ce que c'est que d'enseigner d'une part, et apporter, éventuellement, un complément. Ils pourraient ainsi mieux comprendre comment le jeune peut s’investir dans son entreprise.Quel est le rôle des alumni aujourd’hui ?Un nouveau bureau s’est constitué il y a trois ans, présidé par Jean Montagard, un grand professeur de cuisine végétarienne. Ce dernier a recréé une dynamique et mis en place un bureau qui s’active ardemment.
De plus, j'ai réintroduit la cérémonie de remise des diplômes, et nous travaillons en coopération avec les alumni pour le parrain de promotion.
Nous préparons également avec eux les 110 ans du lycée, en 2024, un anniversaire célébré avec des évènements tout au long de l’année.Justement, quels sont les projets du lycée ?Les 110 ans, comme évoqué à l’instant. Ainsi, de nombreux anciens élèves ayant de belles carrières, vont être invités à venir participer à des événements ponctuels. Ces évènements se tiendront tous les mois, pour toutes les parties - cuisine, service, hébergement, tourisme.
Nous avons aussi terminé notre phase travaux. Nous allons finir de végétaliser l'établissement, c'est la toute dernière étape.
Par ailleurs, je suis très fier d'avoir mis en place tout un plan sur le traitement et la valorisation des déchets, qui nous a valu le label E3D (Établissement en Démarche globale de Développement Durable), puis le label COP d'avance. Nous avons réduit de 80% nos déchets. Nous devons poursuivre cette démarche responsable. Nous avons également passé un accord avec une association et le port d’Antibes, pour récupérer nos huiles alimentaires usagées et les réutiliser dans l’univers du yachting.
Je souhaite encore mettre en place un jardin pédagogique, un jardin d'agrumes, en lien les élèves et professeurs du Campus vert d’Azur à Antibes. Ils sont venus et ont fait les propositions d'aménagement végétal, avec la création d'un vrai beau jardin pédagogique sur le toit.Y a-t-il une collaboration entre vos étudiants et ceux du lycée horticole et agricole ?Tout à fait. Nous envoyons nos élèves observer la culture des plantes et des fleurs, car le Campus vert d’Azur a développé il y a deux ans un espace sur les fleurs comestibles.
Par ailleurs, nous invitons, à notre tour, les élèves de ce campus, pour qu’ils voient comment nous utilisons les fleurs qu’ils produisent, en cuisine, puis la mise en place au niveau du service.Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui souhaite évoluer dans le secteur de l’hôtellerie de luxe ?Reste humble et curieux. Rester humble n'empêche pas d'avoir de l'ambition. Rien n’est acquis et il reste toujours à apprendre.
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