ENGAGEMENT DES SALARIÉS ET MARQUE CRÉATIVE, LA VISION FORTE DE JOSÉ SILVA POUR JUMEIRAH HOTELS AND RESORTS
Le CEO du groupe dubaïote défend une hôtellerie et une gastronomie créatives, centrées sur l’expérience client, mise en scène par des équipes investies, prêtes à se réinventer. |
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ENGAGEMENT DES SALARIÉS ET MARQUE CRÉATIVE, LA VISION FORTE DE JOSÉ SILVA POUR JUMEIRAH HOTELS AND RESORTS
Le CEO du groupe dubaïote défend une hôtellerie et une gastronomie créatives, centrées sur l’expérience client, mise en scène par des équipes investies, prêtes à se réinventer. |
Catégorie : Monde - Interviews et portraits
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Interview de Sylvie Leroy le 31-12-2021
Alors que le Carlton Tower Jumeirah London a récemment ouvert, José Silva, CEO du groupe Jumeirah Hotels and Resorts, est en Europe pour partager actualités et projets et surtout pour dessiner les contours d’une hôtellerie de luxe et d’une gastronomie nouvelles, vibrantes et esthétiques centrées sur la valeur du digital.1997, naissance d’un groupe régional, les fondations des valeurs du groupeRetour en arrière… C’est en 1997 que naît Jumeirah Hotels and Resorts. Le Cheik Mohammed bin Rashid Al Maktoum a pour ambition de proposer à la scène internationale un monde arabe moderne et hospitalier.
Il investit pour bâtir un projet hors- norme : le Burj-Al-Arab, la « Tour des Arabes ». L’hôtel le plus reconnaissable de Dubaï accueille ses premiers clients en 1999, ouvrant la voie sur Dubaï, qui n’est alors qu’un petit port, à une hôtellerie moderne et luxueuse. Tout est exceptionnel dans cet hôtel ultra-luxe à commencer par ses 200 suites présidentielles de 200 m2 chacune.
Les valeurs de la marque sont déjà bien là : un sens aigu de l’hospitalité et l’excellence du service seront les piliers de Jumeirah.
Dans la continuité du Burj-Al-Arab s’ouvrent de nouveaux hôtels Jumeirah, tous les deux ou trois ans, dans les différents quartiers de Dubaï.
Hôtellerie, compagnie aérienne avec Emirates, centre économique incontournable, Dubaï se développe rapidement, se transforme en grande destination touristique, jusqu’à atteindre la maturité et devenir la destination préférée du Moyen-Orient.
Une fois cette maturité atteinte, il est important de se concentrer sur la qualité. C’est ce que Jumeirah a su faire sous la houlette de José Silva, appelé en 2018 à rejoindre le groupe, alors qu’il était Vice-président Régional et Directeur Général du Four Seasons George V Paris.
Sa mission : revoir l’offre, apporter cette excellence dans le service et répondre à la concurrence de grandes marques internationales comme Bvlgari ou Mandarin Oriental qui avaient ouvert sur la destination. Des concepts signature de restauration voient le jour attirant une clientèle riche et jeune, venue notamment de Russie.2018, le début de l’expansion à l’international et le prix de la neige…En 2018, le jeune groupe a 20 ans, plusieurs hôtels sur la région. Il réfléchit s’il doit rester une marque connue et bien implantée au Moyen-Orient ou se lancer à l’international avec l’ouverture d’hôtels de luxe sur d’autres continents : « La mondialisation vous oblige à avoir une présence globale. Qu’elle soit grande ou petite, elle doit exister » souligne José Silva, CEO du groupe Jumeirah Hotels and Resorts.
La décision est prise d’aller sur ces nouveaux territoires, en visant des hôtels plus petits que ce que le groupe a l’habitude de créer à Dubaï : Londres, 186 chambres, Capri Palace, 68 chambres et suites, les Maldives, 65 villas : « Nous voyons une tendance vers une hôtellerie grand luxe, avec un petit nombre de chambres. Et pour nous, l’objectif, grâce à ces adresses, est d’être une vitrine de l’excellence dubaïote » indique M. Silva.
Aujourd’hui, la moitié des 24 hôtels ouverts - pour un total de 6 500 chambres - sont sur Dubaï, 20% en Asie - la marque est très prisée par la clientèle asiatique - et 30% en Europe, à la fois sur des destinations de places financières et de resort.
Sur les destinations à l’international, la marque s’attache à ce que chaque hôtel ait sa propre identité et propose une expérience très locale : « À Londres, au Carlton Tower, nous sommes très londoniens, à Capri, très italiens pour l’hôtel Capri Palace. C’est en proposant ces identités qui ne sont pas moyen-orientales que nous allons prouver que nous sommes une marque internationale. » et d’ajouter : « Lorsque nous serons à Paris, nous serons très parisiens… »
Paris, Moscou, les Alpes sont autant de destinations où le groupe étudie les propositions d’ouverture.
Ouvrir un hôtel dans une station de ski est un graal recherché par toutes les grandes marques d’hôtellerie ultra-luxe, un graal qui a un prix. Pour José Silva, la plus grande croissance dans le tourisme sera sur ces destinations « Montagne », mais le ticket d’entrée est très cher.
Le groupe entend y jouer sa carte et apporter un traitement différent des propositions existantes. L’hôtel Jumeirah en station sera idéalement ski in ski out et recherchera l’expérience de séjour la plus poussée possible, notamment pour apporter une vie de rêve aux skieurs. Les idées ne manquent pas dans la tête du CEO.2020, l’ère des médias sociaux : toujours penser à la valeur digitale des expériences clientsLe groupe défend un concept « Stay different » qui repose sur trois piliers forts : la qualité de service, comme les autres marques de luxe, une architecture et un design forts, et la restauration, avec en tête un fil conducteur : les médias sociaux.
Pour José Silva, le XXIe siècle sera dominé par les réseaux sociaux : « Le client partage rapidement des esthétiques qui l’interpellent ou des expériences qu’il veut partager à ses amis ».
Architecture, mobilier, décoration, uniformes, plats… toute l’expérience, le moment créé doit être aujourd’hui pensé pour ces médias : « Je pose toujours cette question à mes équipes : quelle est la valeur digitale de ce que vous faites, de votre message ? ».
Nous sommes dans un théâtre. Ainsi, une piscine du resort pourra être sans transat pour permettre une photo où le client n’aura pas des personnes sur un transat derrière lui sur la photo…
« Je crois que toutes les marques de luxe sont dans un univers d’expériences. Tout le monde en parle. Mais concrètement ? qu’est ce qui se fait ? dans le parcours client, à l’arrivée à l’hôtel, au restaurant, au spa, dans la chambre… Créer une expérience, avoir une approche, une vision sur ces expériences et leur valeur digitale : est-ce que le client aura envie de prendre une photo de cette expérience ? Le client est devenu le marketeur premier des marques de luxe. »Le restaurant, mise en scène, théâtre et prix abordablesLe CEO de Jumeirah a une passion pour la cuisine et la restauration qu’il analyse avec beaucoup d’intérêt. Pour lui, « la restauration est très certainement l’une des plus grandes tendances de notre époque. C’est une tendance mondiale qui va continuer. Même à Paris où on voit que les restaurants parisiens vont vers une gastronomie mondiale, plus que française. En conservant l’importance du produit, la cuisine va vers du plus épicé, plus assaisonné, plus de saveurs… »
Le restaurant est un bon exemple de cette théâtralisation inhérente à l’époque : de l’entrée, où le client attend pour passer à table, au décor, en passant par les arts de la table, tout doit être conçu et pensé en termes d’expérience. Les uniformes, petit à petit, ne sont plus des uniformes de service mais un costume qui participe à l’histoire que raconte le restaurant.
Pour José Silva, le groupe Paris Society est un bon exemple sur ce concept. Les restaurants étaient avant surtout connus pour leur décor et moins pour la cuisine et petit à petit, cuisine et scène se sont mis au diapason.
L’équilibre se fait alors et provoque une émotion de l’expérience qui est essentielle : « Il faut déclencher une émotion à la fois avec l’environnement et la mémoire gustative. »
Toutefois, il est important d’être attentif au menu pour avoir des plats à prix accessible et s’ouvrir à une clientèle plus large : « La démocratisation du luxe est importante et elle est là pour rester. Dans l’hôtellerie, ce sont les clients qui font la mise en scène. Si vous ne proposez pas à votre carte quelques prix de brasserie parisienne, vous n’aurez pas une clientèle assez diversifiée et une ambiance suffisamment festive. Il doit y avoir, même dans les grands restaurants, ce petit prix d’appel. La marque ne sera pas aussi puissante si elle n’est pas devenue populaire ou accessible. »
« Ma vision de la restauration est une restauration d’animation. Un équilibre parfait entre cuisine et restaurant. Nous allons au restaurant pour voir et être vu et pour manger presque étoilé. La cuisine ne doit pas pénaliser la scénographie du restaurant, avec un service plus décontracté. Tous les restaurants d’animation d’aujourd’hui qui vont rencontrer le succès vont monter vers ce niveau presque étoilé. »
Le groupe Jumeirah compte bien être la première marque d’hôtellerie de luxe à être reconnue pour sa restauration qui se veut l’égale de restaurants à part entière, et non rester dans une gastronomie d’hôtel, très traditionnelle.Le futur : l’ère de l’expérientiel et de la créativité« La nature de l’expérience est tellement centrale. Je demande toujours « que faites-vous de différent ? » car si vous faites la même chose que tout le monde mais vous voulez juste être meilleur que les autres, c’est juste l’ego qui parle. Cela n’a pas d’intérêt. Il faut faire vraiment différent, aller dans une autre direction. C’est plus facile, au final, de faire différent, il faut être plus créatif »
Être plus créatif, cela demande une force en architecture, en design ou en innovation : « Créer quelque chose qui n’a jamais été fait devient viral automatiquement, souligne José Silva, et nous sommes dans cette ère de créativité où les créateurs vont valoir très cher. Il faut trouver ces talents créatifs pour avoir de la valeur au XXIe siècle. »
L’inspiration est la clé de cette créativité : « De nos jours, nous sommes des millions à observer, nous inspirer, et adapter, reprendre à notre façon, selon nos propres codes. »
Le code de Jumeirah est bien défini : résidentiel contemporain et esthétique, et ce code se décline en fonction de la destination. Une palette de couleurs a également été établie.Et au cœur de toute cette expérience mémorable : les équipes et les ressources humaines« Nous encourageons les salariés à faire la différence : Nous leur enseignons à aller au-delà des attentes. Comment personnaliser, prendre l’initiative et imaginer pour le client un souvenir, une expérience mémorable. Chaque moment de la journée et du séjour sera réfléchi pour marquer des points et impressionner les clients. Il y a mille et une opportunités où nous pouvons apporter au client le service sans qu’il nous le demande. A nous d’observer et d’anticiper. »
Comme tous les dirigeants, M. Silva sait que la croissance de l’hôtellerie doit s’accompagner d’une augmentation du nombre de salariés dans le secteur : « Pendant le covid, nous avons stoppé les recrutements. Je ne sais pas quand cette perte se corrigera. Bien sûr, à Dubaï, nous avons la chance de pouvoir recruter en Europe centrale des talents qui n’ont pas les autorisations pour travailler en Europe, comme l’Ukraine. Nous recrutons aussi en Afrique, Inde, Philippines, Malaisie… Mais en Europe, c’est plus inquiétant. Nous recrutons en Espagne sur des régions rurales ou en Italie en comptant sur les salariés écartés du Royaume-Uni par le Brexit. Nous avons peu d’hôtels en Europe, ce qui limite heureusement le problème. »
Les secteurs à métiers socialement difficile comme l’hôtellerie restauration ont des difficultés à recruter et doivent changer plusieurs choses : « Mondialement, il y a un vrai problème de jeunes talents sur ces secteurs. Nous essayons de leur créer des environnements les plus intéressants possibles. Les métiers manuels et de service sont des métiers qui vont devenir de mieux en mieux payés. J’ai déjà mis en place des postes en cuisine avec coupure mais, en contrepartie, en proposant trois jours consécutifs de congés. Une proposition qui plait beaucoup aux jeunes cuisiniers, plus qu’une augmentation de salaire. »
Le salaire n’est pas tout : « Le plus important pour Jumeirah, c’est que les salariés n’oublieront jamais comment vous les traitez. Il faut changer les méthodes de travail dans l’engagement, dans le dialogue qui doit être humain, adapter les horaires de travail pour convenir à chacun… tout en étant bien sûr exigeant, car nous sommes dans l’excellence et le luxe. L’hôtellerie doit absolument se réinventer pour être plus attractive. »
La formation et la valorisation sont aussi des points clé : « Nous manquons encore d’écoles techniques et nous rencontrons aussi un problème culturel de dire « je suis serveur ». Ce problème est moins fort en cuisine puisqu’il y a une certaine mode. Les employeurs doivent montrer que le serveur peut évoluer, s’il le souhaite, en directeur de département et faire carrière. Il faut aussi apporter une vie sociale dans l’entreprise. L’intérêt d’établir une vraie communauté qui travaille ensemble est primordial pour compenser les horaires et les salaires. »
Les stages sont également des moments stratégiques à privilégier tout particulièrement : « Il faut que l’étudiant soit bien accueilli et intégré. Il doit vivre une expérience qui lui donne envie de poursuivre : petit cadeau surprise, petites attentions, écoute… »
Enfin, sur le thème de l’emploi, José Silva regrette l’époque où le directeur RH était aussi important que le directeur financier : « Les Etats-Unis attachent de l’importance aux RH et à cet équilibre depuis bien longtemps alors que l’Europe a pris du retard. On commence tout juste à redonner sa place à la gestion des ressources humaines, à revoir les hiérarchies pour s’ouvrir à plus d’écoute, et surtout à favoriser l’engagement des salariés, ce sens d’appartenance à l’hôtel, à la marque et le sens de leur travail et de leur contribution. Sans compter l’égalité et l’environnement qui sont aussi des sujets à intégrer. C’est vraiment ce défi global que doivent relever les hôteliers européens. »
Pour M. Silva, il y a cinq piliers à réunir pour attirer et fidéliser les talents : « Nous avons cinq devises d’entreprise au sein de notre groupe : 1. Je suis fier de travailler pour Jumeirah, 2. Nous partageons des valeurs humaines, 3. Je sens que j’ai ma place dans la société et je contribue à son succès, 4. Je peux continuer d’évoluer car même si je fais une différence dans ma société, je dois aussi continuer à grandir et, enfin, 5. J’ai une influence, une voix, mes idées sont prises en considération ou écoutées, je peux dialoguer. L’enjeu de l’avenir, ce sont nos talents. Et si nous ne leur apportons pas ces cinq piliers, ils ne nous rejoindront pas. L’argent n’est pas une source de motivation. C’est démotivant lorsqu’on est mal payé, mais ce n’est pas motivant lorsqu’on est payé juste. Ce n’est qu’un droit mais le salarié attend plus de son entreprise. Il veut adhérer aux valeurs de son entreprise, respecter ce que fait son entreprise, être respecté également et être écouté… C’est ce que nous nous efforçons d’apporter à nos équipes. »
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