INTERVIEW – BRUNO DE MONTE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉCOLE HÔTELIÈRE MÉDÉRIC : « CE PROJET DE RÉNOVATION N'EST PAS UNE RÉVOLUTION QUI FAIT FI DU PASSÉ DE L'ÉCOLE » (France)
Nouvellement nommé directeur général, Bruno de Monte est le maître d’œuvre du chantier titanesque entamé par Médéric, afin de rénover l’école de fond en comble et de changer de dimension sur un plan académique.
INTERVIEW – BRUNO DE MONTE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉCOLE HÔTELIÈRE MÉDÉRIC : « CE PROJET DE RÉNOVATION N'EST PAS UNE RÉVOLUTION QUI FAIT FI DU PASSÉ DE L'ÉCOLE » (France)
Nouvellement nommé directeur général, Bruno de Monte est le maître d’œuvre du chantier titanesque entamé par Médéric, afin de rénover l’école de fond en comble et de changer de dimension sur un plan académique.
La fin d’année scolaire est souvent l’occasion de faire le point sur les derniers mois écoulés, mais aussi le moment de procéder à quelques rafraîchissements afin d’aborder dans les meilleures conditions la rentrée à venir. Pour Médéric, l’été sera un peu plus que celui des raccords des peintures des murs ou du nettoyage des couloirs. L’école, située 20 rue Médéric dans le XVIIe arrondissement de Paris, a décidé d’entamer sa mue et va lancer des travaux d’envergure avec la rénovation des 10.000 m² qu’elle occupe.
Un hôtel, trois restaurants, des laboratoires dernier cri, des espaces dédiés aux concours et aux professionnels et bien d’autres surprises verront ainsi le jour pour servir de terrain de jeu grandeur nature aux étudiants sur tout le spectre du secteur de l’hôtellerie et de la restauration, depuis le CAP jusqu’au BTS. Le chantier, évalué à 28 millions d’euros, s’annonce colossal et devrait s’étaler sur au moins trois ans, sous la houlette de Bruno de Monte.
Habitué à diriger des établissements, lui qui a été pendant 13 ans à la tête de l’école Ferrandi, le nouveau directeur général du CFA parisien s’est laissé séduire par le projet « Médéric Campus 2024 », au point d’en écrire les grandes lignes. Alors que les élèves sont partis en vacances, le Journal des Palaces a retenu Bruno de Monte le temps d’évoquer cette nouvelle étape majeure dans le développement de l’école Médéric et ce qu’il compte mettre en place aux niveaux académiques et pédagogiques, avec le souci de préserver les valeurs de son nouvel établissement tout en offrant le meilleur à ses professeurs et étudiants.
Vous venez de prendre la tête de l’école Médéric, après 13 ans aux commandes de l’école Ferrandi. Comment s’est passé votre prise de fonction et pourquoi rejoindre Médéric maintenant ?
J’ai passé 13 ans à l’école Ferrandi. Un beau parcours au cours duquel nous avons fait beaucoup de belles choses dans une école exigeante. J’avais besoin de me renouveler et certainement l’école aussi. Le projet Médéric était une opportunité de mettre mon énergie sur un projet émergent global : pédagogique, éducatif et immobilier. Médéric cherchait un chef de projet et je suis donc rentré non pas comme directeur opération, mais comme délégué général au projet. J’avais la charge de réunir les études et les conditions pour la faisabilité du projet.
Cette dernière année a été une phase d’études, d’écriture du projet et de lancement de marchés publics français et européens, car un projet de 28 millions d’euros nécessite des architectes, des entreprises. Au bout d’un an, le conseil d’administration, à qui j’ai présenté la planification, m’a nommé directeur général opérationnel. Que ce soit à Ferrandi ou Tecomah, j’ai toujours eu des missions entre management opérationnel et stratégie et développement, passant ou non par du repositionnement.
Médéric vous a-t-il laissé le champ libre ou avez-vous suivi un plan déjà établi ?
Je ne suis pas parti d’une feuille blanche. Le président de l’école, Didier Chenet, a une vision sur laquelle je me suis appuyé pour proposer un plan de route. Je suis parti aussi d’une histoire. Ce projet de rénovation n’est pas une révolution qui fait fi du passé de l’école, notamment sur le plan pédagogique et éducatif.
Ces dernières années, il y a eu beaucoup de développement d’écoles d’hôtellerie et de restauration sur des business model payants. Là, nous sommes sur un projet de nouvelle école qui va proposer aux jeunes des conditions d’études équivalentes à celles des grandes écoles européennes payantes, le tout en plein Paris là où les autres écoles ont tendance à s’en éloigner en raison de la pression financière. Nous rénovons plus de 10.000 m² avec un niveau d’exigence dont tous les jeunes devraient bénéficier, mais sans renoncer à nos valeurs fondamentales : l’égalité des chances et la gratuité de l’enseignement.
Comment parvenez-vous à garantir la gratuité malgré les investissements consentis ?
C’est gratuit pour les jeunes mais nous avons un modèle de financement derrière sur la base de subventions à travers les Opérateurs de Compétences (OPCO) et les co-contrats qui permettent un enseignement de qualité et une saine gestion. L’apprentissage était financé par la taxe d’apprentissage et notamment le quota d’apprentissage. La loi pour choisir son Avenir Professionnel (5 septembre 2018, ndlr) a changé cette donne. France Compétences a été créée et les OPCO, qui regroupent les branches professionnelles par secteur, ont été mis en place pour gérer les fonds de formation en apprentissage sous la forme de contrat déterminant la rétribution donnée au CFA pour former un jeune. Concrètement, si vous formez un BTS, l’OPCO rémunère l’établissement tant que le modèle est celui de l’apprentissage.
Quels sont les plus gros défis qui se présentent à vous au travers de votre nomination ?
Après 30 ans à diriger des écoles, les défis ne relèvent pas de la gestion, mais dans la conduite du changement pour que cette école passe de 700 apprentis aujourd’hui à 1.400 demain. Le premier défi est organisationnel, car vous ne pouvez pas doubler votre nombre d’élèves sans réformer l’organisation, accompagner les équipes, prévoir un plan de recrutement. Il faut aussi revoir tous les systèmes d’informations (SI) : scolarité, cours en ligne, comptable, financier, RH. Nous passons d’une école « modeste » à un établissement plus grand qui demandera certainement une organisation plus « processée » tout en conservant l’agilité nécessaire pour les équipes pédagogiques et leur créativité. Nous avons deux-trois ans devant nous pour construire cette organisation.
Le deuxième défi est immobilier. Par convention, nous partageons le bâtiment actuel, qui appartient à Médéric, avec le lycée de Rouen. En septembre 2025, ce dernier part et nous commençons nos travaux en site occupé. Cela représente un défi que nous aide à relever les architectes en phasant nos importants travaux.
Le troisième défi est de monter en compétences en termes de promotions, de recrutement de jeunes et d’enseignements aussi. La carte de formations va être revue. Une rénovation, c’est bien mais cela doit apporter de nouvelles fonctionnalités pour le bien-être des apprentis, mais aussi pédagogiques.
Pouvez-vous nous détailler le projet de Médéric ?
C’est un projet innovant et singulier dans le cadre des projets immobiliers d’écoles ces dix dernières années. Nous allons construire un hôtel, ce qui va nous amener à développer davantage de formations en hébergement déjà proposées en BTS, la création de licences professionnelles en apprentissage qui n’existent pas encore.
Nous aurons trois restaurants. Un d’initiation qui va permettre aux jeunes en début de formation de s’exercer. Je suis partisan de ne pas faire la course à la perfection immédiate parce qu’on passe à côté de l’acquisition de fondamentaux. Dans une école, on est là pour apprendre son solfège et sa grammaire, pas pour être tout de suite concertiste. Les clients seront nos élèves. C’est important pour leur parcours de se mettre dans la posture du client pour comprendre justement la relation au client.
Le second restaurant sera un restaurant classique d’application avec un bon niveau technique, une belle proposition de carte. Le troisième visera la haute gastronomie avec une trentaine de couverts seulement et sera réservé aux étudiants aguerris. Il disposera également d’un rooftop. Nous aurons aussi des laboratoires de pâtisserie, cuisine, traiteur, chocolaterie et boulangerie, équipés en matériels performants. Des espaces de vie rénovés intégrant les nouvelles dimensions du travail comme le co-working. Il y aura aussi un espace concours pour les professionnels avec une cuisine de concours, un espace délibération, un amphithéâtre…
Le but est d’immerger les élèves, le plus possible, dans un cadre qui ressemble à l’entreprise pour les y préparer le mieux.
Vous allez disposer d’un nouvel espace de pointe. Comment comptez-vous faire évoluer les programmes à destination de vos étudiants ?
Nous n’allons rien révolutionner et notre nouveau matériel n’aura pas de conséquence sur le contenu des formations. Les référentiels sont fixés par l’Éducation Nationale et nous donnent des compétences à acquérir. Nous allons, en revanche, ouvrir des formations en chocolaterie et boulangerie.
J’ai pris l’habitude de réviser le portefeuille de formations tous les deux ans, même si on ne change rien, pour savoir ce qui marche ou pas, ce qui pourrait être amélioré, ce qui pourrait être ajouté ou retiré. Se poser ces questions aident à évoluer.
Dans quelle mesure consultez-vous les entreprises pour mettre au point vos programmes ? À quel degré les impliquez-vous et les faites-vous participer ?
Il y a un travail de concertation informel avec les maîtres d’apprentissage et formel avec les conseils de perfectionnement, les associations hôtelières qui font des concours aussi. Nous faisons une veille sur l’évolution des besoins et attentes du marché. Nous voulons nous concentrer sur les compétences dont les entreprises ont besoin.
De nombreux chefs me disent que les bases culinaires ne sont pas assez maîtrisées. La technique est importante, mais le savoir-être est aussi une demande récurrente. C’est le plus gros challenge d’un point de vue éducatif surtout sur les « très » jeunes qui arrivent chez nous à 15 ans en CAP ou Seconde Bac pro. Il y a tout un pan de maturité à acquérir et certains basiques de comportement, de ponctualité, de courtoisie et de politesse présents il y a 10 ans et qui ne le sont plus aujourd’hui.
Quelle stratégie allez-vous mettre en place pour attirer les jeunes vers les métiers de l’hôtellerie et de la restauration ? Comment pensez-vous les séduire ?
J’ai envie que l’école soit attractive parce qu’elle est belle, que les conditions de travail sont exceptionnelles. J’ai envie, et les professeurs aussi, de leur faire aimer ce métier. L’école doit être un lieu de vie. Je veux que les élèves ne viennent pas seulement pour apprendre de la technique, mais pour se construire et apprendre à être des citoyens. J’ai envie qu’en sortant, on reconnaisse nos étudiants pour leur savoir-faire et leur savoir-être.
Quelle serait, pour vous, la signature Médéric que vous voudriez créer ?
Des jeunes solides, talentueux et responsables.
Comptez-vous développer aussi des formations à l’étranger ?
Nous allons maintenir et développer notre activité à l’étranger, dans la mesure de nos moyens, autour des programmes Erasmus et des voyages à l’international. J’ai un groupe d’élèves de tous niveaux qui part au Japon visiter des écoles, des entreprises. Nous recevons aussi des étudiants dans le cadre d’échanges. Ouvrir des formations à l’étranger n’est pas au programme des trois prochaines années.
J’aimerais, en revanche, faire de l’échange d’expérience avec des professeurs étrangers, faire de la formation de formateurs étrangers à la cuisine française. Une de nos missions est aussi de faire rayonner la gastronomie française.
Au-delà de la formation des étudiants, vous accordez aussi une grande importance à la formation de tout votre personnel. Pourquoi ?
Nous avons commencé un plan de formation des équipes support et technique à travers les différents outils de gestion informatisée que nous mettons en place. Les formateurs sont aussi accompagnés sur la prise en main de la plateforme d’enseignement à distance, même si la pratique en laboratoire me paraît plus importante.
Il y a aussi un accompagnement en compétences pédagogiques. Nos enseignants ont de grandes compétences, mais, le public évoluant, les techniques doivent évoluer aussi. Cela passe par des stages chez des professionnels, par exemple deux semaines dans un hôtel ou un restaurant dans la peau d’un professionnel. Il y a aussi des stages techniques avec des Meilleurs Ouvriers de France, dans des écoles faisant de la formation continue de haut niveau.
Quel regard portez-vous sur le secteur, notamment en termes d’attractivité des métiers et de débouchés pour les jeunes ?
Sur les 13 dernières années, j’ai vu le boom des candidatures et de la variété des profils, surtout en cuisine, en lien avec l’augmentation des émissions culinaires en prime time (Top Chef, Master Chef, Meilleur Pâtissier, Qui sera le prochain grand pâtissier ?…). Depuis 2-3 ans, je sens cette croissance stagner, voire régresser sur certaines formations. L’attractivité décline, mais ce n’est pas alarmant surtout après une telle croissance. Nous vivons une décroissance et il ne faut pas qu’elle nous ramène 13 ans en arrière quand on orientait les enfants en cuisine par défaut.
La profession évolue, beaucoup d’efforts ont été faits sur l’organisation du travail, le management. Les hôteliers ont compris que pour garder leurs collaborateurs, il fallait offrir des conditions de travail que les nouvelles générations demandent. Puis, cela reste un secteur qui offre des perspectives intéressantes de carrière et d’ascension professionnelle.
Quels sont les conseils que vous donneriez à un jeune qui veut faire carrière dans le secteur de l’hôtellerie de luxe ?
Entrez dans un bon groupe et, si vous êtes quelqu’un de valeur, vous serez repéré et on vous proposera un parcours. Vous ferez du national, de l’international, vous reviendrez et prendrez des responsabilités. Ce qui est intéressant dans l’hôtellerie, ce sont les possibilités de progression, de parcours en passant de l’opérationnel au back office, d’alternance entre France et international. Quand on vise des postes en management dans l’hôtellerie, dans une perspective de carrière, je conseille de faire un peu d’international. C’est même nécessaire.
Journaliste aux multiples atouts et voyageur curieux, Christopher a une grande appétence pour les établissements au raffinement soigné, où s’accordent gastronomie de caractère, service impeccable et élégance sincère. Une plume discrète et gourmande au service d’une certaine idée du luxe.